Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 6.djvu/713

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
707
MŒURS DES AMÉRICAINS.

disposition de cette dernière, mais elle ne les perd pas un moment de vue : un instant de distraction serait infailliblement mis à profit pour le vol. Il me semblait que dans ce cas, comme dans beaucoup d’autres, il devait être souverainement ennuyeux d’avoir toujours sur ses talons cette espèce d’ombre noire. Mais toutes les fois qu’il m’est arrivé de communiquer cette remarque, on m’a dit qu’elle n’était point fondée et que l’habitude d’être servi par des esclaves faisait qu’on ne s’apercevait pas même de leur présence.

« J’ai eu mille occasions d’observer cette habitude de ne faire aucune attention à la présence des esclaves. On parle d’eux, de leur condition, de leurs facultés, de leur conduite, exactement comme s’ils étaient incapables d’entendre. J’ai vu une jeune dame, qui poussait la pruderie à ce point, qu’assise à table entre un homme et une femme, elle envahissait la chaise de sa voisine pour éviter l’indécence de toucher le coude d’un homme ; j’ai vu, dis-je, cette jeune dame lacer son corset devant un domestique nègre avec la plus parfaite tranquillité. — Un gentilhomme de Virginie me racontait un jour que depuis son mariage il avait l’habitude de faire coucher dans sa chambre une jeune négresse. Je lui demandai, avec quelque surprise, à quoi pouvait lui servir durant la nuit la présence de cette esclave. « Bonté du ciel ! me dit-il, et si j’avais besoin d’un verre d’eau, qui me le donnerait ?»

« La société à la Nouvelle-Orléans, dit ailleurs notre voyageuse, est divisée en deux classes distinctes, la première est composée des familles créoles ou de sang pur, la seconde de celles des quarterons ou de sang mêlé. De tous les préjugés que j’ai rencontrés en Amérique, celui qui sépare ainsi ces deux classes m’a paru le plus violent et le plus invétéré. Les jeunes quarteronnes, filles reconnues de pères créoles, élevées avec toute la perfection que l’argent peut procurer à la Nouvelle-Orléans, et avec tous les soins prévoyans que l’amour paternel peut inspirer parfaitement belles, d’une grâce, d’une gentillesse et d’une amabilité exquises ; les jeunes quarteronnes ne sont ni admises, ni sous aucun prétexte admissibles dans la société des familles créoles de la Louisiane. Il y a plus, aucune cérémonie ne peut