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VOYAGE EN ANGLETERRE.

toutes les églises gothiques en Angleterre, sans exception, soient défigurées par des monumens et des tombeaux modernes de mauvais goût.

J’arrivai assez tard dans la soirée à Cheltenham, un charmant établissement de bains, d’une élégance à laquelle on atteindrait difficilement sur le continent. Le riche éclairage des rues, les maisons en forme de villas, dont chacune est entourée d’un petit jardin plein de fleurs, disposent l’esprit agréablement. J’arrivai à ce moment où la lumière du jour dispute avec la clarté artificielle, et produit un charmant effet. Comme j’entrais dans l’hôtellerie, qu’on peut appeler somptueuse, et que je gagnais ma chambre en gravissant les escaliers de pierre d’une blancheur de neige, ornés d’une rampe de bronze doré, marchant sur des tapis frais et éclatans, précédé de deux laquais qui m’éclairaient, je m’abandonnai con amore au sentiment du comfort, qu’on ne peut connaître d’une manière parfaite qu’en Angleterre. Sous ce point de vue, ce pays-ci est parfaitement approprié à l’humeur d’un misanthrope tel que moi : car tout ce qui ne touche pas aux rapports de société, tout ce qu’on peut se procurer pour de l’argent, est admirable et complet, et on peut en jouir isolément sans que personne s’occupe de vous.

Voyager avec toi dans toutes ces villes, libre de tout souci d’affaires, serait pour moi le plus doux plaisir ! Combien tu me manques partout ! Il faut que je t’aime bien tendrement, ô bonne Julie, car lorsque les choses vont mal, je trouve une consolation à songer que tu échappes au moins à ce moment ; et au contraire, quand je vois et que j’éprouve quelque chose qui me réjouit, c’est toujours comme un reproche que me vient le sentiment pénible de goûter toutes ces choses sans toi. Il est certain qu’on peut trouver en Angleterre une plus grande quantité de jouissances matérielles que chez nous. Ce n’est pas en vain que de sages institutions ont si long-temps régné ici, et ce qui satisfait peut-être le plus le philantrope, c’est la vue de l’extrême bien-être général, et de la dignité que comportent les rapports de la vie. Ce qu’on nomme chez nous aisance, on le regarde ici comme le nécessaire ; et cela est répandu dans toutes les classes. De là naît, jusque dans les plus petits détails, un effort constant vers la parure et l’arrangement, une élégance soigneuse, une propreté, en un mot une tendance au beau joint à l’utile, qui