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VOYAGE EN ANGLETERRE.

bes épaisses et foncées qui s’abattent pendant un certain temps le long de la route. Le magnifique chemin de Londres jusqu’à Holyhead (200 milles), uni comme un parquet, passe en ce lieu au côté gauche de la chaîne de montagnes, au milieu de sa hauteur à-peu-près, suivant toutes ses courbures, en sorte que tandis qu’on s’avance au grand galop des chevaux, la vue change complètement presque à chaque minute, et que sans quitter son siége on contemple la vallée devant soi, tantôt en avant et tantôt en arrière. À un certain endroit, une conduite d’eau passe sur vingt-cinq arches de pierre élancées, ouvrage qui eût fait beaucoup d’honneur aux Romains, et forme, à travers la vallée et par-dessus la Dee, un second fleuve, qui roule ses flots à cent-vingt pieds au-dessus de l’autre. La petite ville de Llangollen, dans les montagnes, offre après quelques heures de route, un délicieux repos. Du cimetière on a la plus belle vue, et d’un monument sur lequel je m’étais placé, je passai un temps infini à jouir de la brillante exposition. Au-dessus de moi, s’étendait un petit jardin en forme de terrasse, couvert de vignes, de roses, de magnolias et de mille fleurs éclatantes, qui descendaient, comme pour se baigner, jusqu’au bord du fleuve écumant ; à droite, mes regards suivaient le flot onduleux qui murmurait au loin entre les broussailles suspendues au-dessus de l’eau. Devant moi s’élevait une double région boisée, divisée comme par compartimens par de petites pelouses vertes, sur lesquelles paissaient des vaches ; et par-dessus tout cela, bien haut dans les airs, la pointe chauve et conique d’un ancien volcan peut-être, que couvrent aujourd’hui les ruines sombres d’un antique château saxon, nommé Castel Dinas-Bran, c’est-à-dire le phare des corneilles, et qui semble la ceindre comme une couronne de murailles. À gauche s’éparpillent les maisons de pierre de la petite ville ; dans la vallée, et tout près d’un pont pittoresque, le fleuve forme une belle chute d’eau. Trois grands colosses de montagnes s’élèvent majestueusement derrière l’écume du torrent, et ferment aux regards les mystères plus éloignés de cette merveilleuse contrée. Permets maintenant que je revienne du romantique à des sentimens moins élevés, mais qui ne sont cependant pas à dédaigner, et que je me tourne vers la vie intérieure, c’est-à-dire vers la chambre où mon appétit, considérablement augmenté par l’air des montagnes, jouit d’avance, avec une satisfaction toute particulière, du spectacle d’une belle