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ques laïques au partage de leurs travaux, même à la construction des églises. La plupart des secrets hiératiques avaient été ainsi confiés à des séculiers ou devinés par eux. Tout, dans la société de cette époque, tendait à la sécularisation et à l’établissement des franchises ; à côté des francs-bourgeois, il était inévitable qu’il s’établit des francs-maçons et des francs-chanteurs. Et, comme au sortir de l’époque hiératique, on ne pouvait concevoir un art sans mystère, sans traditions, sans hiérarchie, on vit des sociétés laïques s’organiser par grandes divisions d’art (maçonnerie et musique), et se donner des règles et des statuts, à l’instar des congrégations religieuses. Dorénavant, l’artiste dut passer par les degrés d’apprenti, de compagnon, de maître, au lieu de parcourir ceux de novice, de profès et d’abbé.

Ce sentiment de franchise, de liberté communale et de nationalité se montre dans les plus petits détails de ce nouvel art. Tandis que l’architecture hiératique avait emprunté à l’Orient ses frises et ses chapitaux surchargés de plantes grasses, d’acanthe et de palmiers, l’architecture séculière et communale du treizième au quinzième siècle n’admet dans ses détails les plus capricieux que des plantes de notre sol, que des arbres de nos forêts. Il reste debout un fort grand nombre de monumens de cette époque ; presque toutes nos cathédrales datent de ces trois siècles ; hé bien ! entrez ! que voyez-vous pour couronne à ces colonnettes ? Des feuilles de chêne et de hêtre. Et qui forme, je vous prie, ces entrelacemens d’ornemens si délicats ? Les plantes les plus vulgaires, des feuilles de treffle, de persil, de fraisier. Quand le luxe et la profusion architecturales arrivent à leur comble au quinzième siècle, ce qui domine, ce sont les feuilles de choux frisées, gonflées, arrondies, au point de ressembler à des têtes de dauphins. Ce nouvel art, qu’une mysticité sublime enlève à tire-d’aile vers le ciel, affecte, dans ses parties inférieures et secondaires, un sentiment rustique et populaire qui sent la glèbe, et atteste qu’il eut pour père et premier générateur le pauvre serf franc, saxon et germain, émancipé[1].

  1. M. L. Vitet, dont les ingénieux opuscules nous ont souvent servi de