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UNE COURSE DE NOVILLOS.

amphithéâtres, et me tira de cet engourdissement. Je frémis et tremblai de la tête aux pieds. Ô mon Dieu ! Une péripétie bien brusque et bien inattendue venait de rétablir toute l’unité d’action de ce drame sanglant. — Dans l’une des arènes au-dessous de notre loge, un picador seul était assailli par les deux taureaux dont l’un venait de franchir la barrière qui divisait la place. Que pouvait avec sa lance le pauvre cavalier contre ces deux bêtes furieuses ? Son cheval, éventré d’abord et mis en lambeaux par elles, disparut bientôt avec lui sous leurs pieds.

C’était un effroyable spectacle. Je ne pus le soutenir. Quoi qu’il m’en dût coûter, je ne voulus pas cependant partir. Je fermai les yeux. Je me les couvris avec les mains. Je me bouchai les oreilles. — Je demeurai long-temps ainsi. J’entendais bien par intervalles comme de vagues et sourds bourdonnemens, des rumeurs confuses ; — au moins n’en distinguais-je pas le sens ; — au moins ne savais-je pas si c’étaient là des cris de joie ou de détresse. — Ce n’est pas que la joie de ce peuple ne m’eût épouvanté peut-être autant que sa pitié ! — Mais je ne voyais ni l’une ni l’autre. C’était beaucoup.


XVI.

Tous ces bruits paraissaient néanmoins s’être apaisés. Il me sembla qu’un profond silence régnait dans le cirque. Je rouvris les yeux. Je regardai.

Le double combat était terminé. Déjà l’on faisait disparaître la barrière qui divisait la place. L’armée des toreros, cavalerie et infanterie, picadors, chulos, banderilleros et matadors, se retirait en bon ordre. Les corps de trois chevaux et des deux taureaux étaient seulement encore couchés sur le champ de bataille, mais on attelait les mules qui les en allaient successivement enlever. Des jeunes gens, des hommes, des enfans, s’étaient aussi