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DU ROMAN INTIME.

même, elle l’engage à profiter de cette protection importante pour mettre un pied dans le monde, et elle lui annonce avec gravité et confiance qu’elle est décidée à se laisser marier avec M. de Thiézac : « car, dit-elle, mon père, qui est âgé et valétudinaire, peut mourir. Que ce malheur arrive, et je me retrouve dans le cas d’une jeune fille de seize ans, forcée de se marier sans avoir le temps de concilier les convenances avec ses goûts. C’est ce que je ne veux pas. »

L’emportement d’Ernest, sa bouderie, son dépit irrité, ses larmes, le détail du mouchoir gracieux encore dans sa simplicité un peu vulgaire, c’est ce que le narrateur fidèle a reproduit bien mieux qu’on ne saurait deviner. Qu’il nous suffise de dire que la fermeté amicale de mademoiselle de Liron tient en échec Ernest ce jour-là et le suivant ; que le mot vous n’êtes qu’un enfant, à propos jeté à l’amour-propre du jeune cousin, achève de le décider ; que M. de Thiézac qui arrive en litière avec son projet de contrat de mariage et un brevet de nomination pour Ernest, est accueilli fort convenablement, et que celui-ci annonce bien haut, avec l’orgueil d’une résolution soudaine, qu’il part le lendemain de grand matin pour Paris.

Mais le soir même, quand tout le monde est retiré, quand la maison entière repose, et que mademoiselle de Liron, après avoir fait son inspection habituelle, entre dans sa chambre, non sans songer à ce pauvre Ernest qu’elle craint d’avoir affligé par sa dernière brusquerie, que voit-elle ? Ernest lui-même qui est venu là, ma foi ! pour lui dire adieu, pour lui reprocher sa dureté, pour la voir encore, et partir en la maudissant… Mais Ernest ne part qu’au matin, ivre de bonheur, bénissant sa belle cousine, oubliant une montre qui ne quittera plus cette chambre sacrée, ayant promis par un inviolable vœu de ne revenir qu’après un an révolu, et de bien travailler durant ce temps à son progrès dans le monde. Ernest s’était glissé dans cette chambre comme un enfant, il en sort déjà homme.

Le matin même, M. de Liron a reçu à son réveil une lettre de sa fille, qui lui annonce qu’après y avoir sérieusement réflé-