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très animé, un cou qui grossit malgré tous les soins que je me donne, une gorge qui serait belle si elle était plus blanche, le pied et la main passables ; voilà Cécile… Eh bien ! oui, un joli jeune Savoyard habillé en fille ; c’est assez cela, Mais n’oubliez pas, pour vous la figurer aussi jolie qu’elle l’est, une certaine transparence dans le teint, je ne sais quoi de satiné, de brillant que lui donne souvent une légère transpiration : c’est le contraire du mat, du terne ; c’est le satiné de la fleur rouge des pois odoriférans. Voilà bien à présent ma Cécile. Si vous ne la reconnaissiez pas en la rencontrant dans la rue, ce serait votre faute ». Ainsi tout ce que mademoiselle de Liron a de brillant par la blancheur, Cécile l’a par le rembruni ; ce que l’une a de commun avec les femmes du Cantal, l’autre l’a avec les jolis enfans de Savoie ; le cou visiblement épaissi de Cécile est un dernier caractère de réalité comme d’être un peu grasse ajoute un trait distinctif à mademoiselle de Liron. Pour ne pas nous apparaître poétisées à la manière de Laure ou de Médora, elles n’en demeurent pas moins adorables toutes les deux, et on ne s’en estimerait pas moins fortuné pour la vie de leur agréer à l’une ou à l’autre, et de les obtenir, n’importe laquelle.

Mais, au milieu de ces discours, un an s’est écoulé. Ernest, secrétaire d’ambassade à Rome, a reçu un ordre de retour ; il part demain pour Paris, delà il courra à Chamaillères. Il va faire sa visite d’adieu à Cornélia. Cornélia est une belle et jeune comtesse romaine, qui s’est éprise d’amour pour Ernest ; Ernest lui a loyalement avoué qu’il ne pouvait lui accorder tout son cœur, et Cornélia n’a pas cessé de l’aimer. Ce n’est pas un héros de roman qu’Ernest : nous l’avons connu adolescent, vif, impétueux, d’une physionomie spirituelle, ni beau ni laid ; il est devenu homme, appliqué aux affaires, modérément accessible aux distractions de la vie, fidèle à sa chère et tendre Justine, mais non pas insensible à Cornélia. Ernest est un homme distingué autant qu’aimable : mademoiselle de Liron l’a voulu rendre tel, et y a réussi. Par momens, plus tard surtout, je le voudrais autre ; je le voudrais, non plus dévoué, non plus sou-