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LE PONT D’ARCOLE.

filles attendent à l’ombre, en chantant, que les feuilles des mûriers soient poussées. Les catalpas y sont couleur de citronniers, les buissons d’acacias y fleurissent dès l’hiver, les vignes y couronnent de guirlandes la tête des peupliers et les branches des cerisiers de mai. Le blé y est nourri : à présent quand viendra la moisson ? Les peuples prennent partout leur faucille à son clou. J’en ai trouvé sur ma route qui attelaient déjà leurs bœufs pour emmener leurs gerbes. Voilà l’été qui vient. Les figues de Rivoli sont cuites sous le soleil ; les raisins de Castiglione pendent à leurs ceps ; j’ai broyé sous mes dents le blé d’Arcole ; j’ai bu pour ma soif les citrons de Montébello. Les blés et les citrons sont mûrs pour la moisson, Napoléon les a plantés. Vendangez maintenant, si vous voulez, pour la cuve des nations. Moissonnez, à présent que le grand laboureur a passé dans l’automne, avec son soc fait de l’airain des canons.

La nature a réuni et entassé dans Napoléon deux climats et deux mondes, la France et l’Italie. Ni l’une ni l’autre ne suffisent à l’expliquer. Mais à mesure que vous vous élevez d’un degré dans la pensée de l’Italie, toute une face obscure de la pensée de cet homme se dévoile à vous, comme la végétation d’une région nouvelle sur un sommet des Alpes ; car lui-même il est dans l’univers moral le plus haut de ces sommets, placé là entre deux peuples pour regarder éternellement la France et l’Italie. Et quand avec la pointe de son épée il a troué de part en part la crête des Alpes, de ces chaussées gigantesques, il a marqué ainsi sur la terre l’union de ces deux mondes, qui étaient déjà cimentés et confondus dans son intelligence.

Ces lieux, au reste, n’expliquent pas seulement Napoléon : ils parlent surtout de la France. Si l’enthousiasme de sa gloire passée s’effaçait jamais de son sein, il faudrait venir le chercher sous les cabanes d’Arcole ; si ces cabanes l’avaient oublié sous leurs roseaux, il faudrait le demander aux herbes et aux joncs des marécages. Jusqu’aux madones qui bordent les chemins, jusqu’aux saints dans leurs niches, qui ont toujours leurs yeux tournés du côté de ces chaussées, il y aurait une voix et une plainte partout. France, toi si belle, quand tu marchais par ce