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crant, suivant leur usage, tout ce qui tombait entre leurs mains, enlevant le bétail et incendiant les propriétés. Ils avaient détruit plusieurs postes sur la route de Buenos-Ayres à Cordoba, et désolaient les environs de la petite ville de San Luis, située sans défense au milieu des Pampas et la plus exposée à leurs incursions. Au mois de janvier, trois cents hommes, la fleur de la population de cette province, qui ne compte que quinze mille habitans, avaient péri sans qu’il en échappât un seul, en cherchant à les repousser dans leurs déserts. Ainsi, de quelque côté qu’on jetât la vue, les Indiens, l’anarchie, la guerre civile et tous les maux qu’elles traînent à leur suite, semblaient s’être donné rendez-vous sur cette malheureuse terre.

Je me rendais alors du Chili à Buenos-Ayres avec trois autres Français, que des affaires commerciales avaient conduits dans la mer du Sud, et qui avaient préféré cette route, pour retourner en Europe, au passage redouté du cap Horn : c’était une entreprise assez aventureuse que de traverser le continent de l’Amérique au milieu de la guerre civile, et les obstacles semblaient naître sous nos pas, pour nous arrêter dans notre marche. Les nouvelles les plus alarmantes circulaient dans toutes les bouches, et les habitans des lieux où nous passions nous engageaient souvent avec de vives instances à ne pas aller plus loin. À les entendre, nous devions être infailliblement assassinés à quelques lieues de là par les bandes qui parcouraient, disaient-ils, les environs, et que des témoins oculaires avaient aperçues la veille dans tel endroit qu’ils désignaient. Les autorités elles-mêmes refusaient quelquefois de nous délivrer des passeports pour ne pas se charger la conscience de la mort certaine à laquelle nous courions. À Mendoza, cette formalité nous avait retenus plus d’un mois. À San Luis, les Indiens, qui cernaient la ville, nous avaient forcés d’y rester quinze jours, et nous avions pris part à la défense commune, en nous réunissant en armes, avec les principaux habitans, dans la maison du gouverneur, que sa construction mettait à l’abri d’un coup de main de leur part. Lorsqu’ils se furent retirés avec leur butin, on nous laissa partir, et, afin d’éviter, l’armée de Quiroga, que nous supposions