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BATAILLE DE LA TABLADA.

dans les rues : deux ou trois cadavres seuls étaient étendus à quelque distance des palissades, et cependant les assaillans devaient avoir fait des pertes assez considérables dans les assauts qu’ils leur avaient livrés. Ceci s’expliqua bientôt ; on découvrit dans la journée une soixantaine de corps dans une excavation naturelle du sol. Au fur et à mesure qu’un des leurs tombait, les gauchos l’enlevaient au moyen du lazo qu’ils portent toujours à l’arçon de la selle, et le traînaient là pour dérober la connaissance de leurs pertes. Les miliciens avaient perdu peu de monde, mais ils avaient à regretter leur commandant, qui avait eu la cuisse fracassée de deux balles en s’exposant le premier au feu ; il mourut deux jours après des suites de l’amputation. Nous visitâmes ensuite les maisons qui avaient été pillées. L’ennemi s’était acharné surtout sur celle du gouverneur, qui n’offrait plus que des débris de meubles épars dans les appartemens : les grilles mêmes des fenêtres avaient été arrachées. Nous apprîmes alors que ce n’était pas une simple avant-garde de l’armée fédérale qui avait surpris la ville, mais l’armée tout entière, et que Quiroga en personne avait dirigé l’attaque : on nous fit voir un feu éteint près duquel il s’était tenu pendant que ses gens escaladaient par ses ordres les maisons de la place. Son apparition subite dans Cordoba était due à une manœuvre habile, par laquelle il avait échappé à Paz, qui l’avait rencontré sur les bords du Rio-Segundo. Feignant d’accepter la bataille que lui présentait le général unitaire, il l’avait entretenu dans cette pensée par des escarmouches prolongées jusqu’à l’entrée de la nuit ; puis, profitant de l’obscurité profonde de celle-ci, il avait franchi à la hâte les douze lieues qui le séparaient de la ville. Paz, retardé par son artillerie, n’avait pu l’atteindre ; mais il était clair qu’il le suivait de près, et l’on attendait avec impatience l’instant qui le verrait paraître.

Au nord de Cordoba s’étend une plaine assez considérable, dont la surface, moitié sablonneuse, moitié couverte de pâturages, est entrecoupée de ravins et de monticules : on l’appelle la Tablada. Le Rio-Primero, qu’elle domine de quelques pieds, suit ses contours, et, à mesure qu’elle se rapproche de la