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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

gourmé, l’emphase guindée de ses doctrines, et le puritanisme de son goût, en faveur des anecdotes et des traditions qu’il a recueillies avec une religion laborieuse. Milton maître d’école ! Savage écrivant dans la rue, ou dans une taverne enfumée, sur un papier d’emprunt, les lambeaux désordonnés de ses poèmes ! savez-vous beaucoup de romans aussi riches en émotions ?

Mais bien qu’on ne doive toucher à la biographie d’un homme vivant qu’avec une extrême réserve, bien que le récit des premières années d’un homme qu’on peut coudoyer dans un salon, ou rencontrer dans la rue, exige une délicatesse sérieuse et contenue, il ne sera peut-être pas sans intérêt et sans utilité d’ajouter à tant d’exemples mémorables un exemple nouveau que nous avons sous les yeux.

Quand je saurais jour par jour toute la vie intérieure et personnelle d’Alfred de Vigny, je me garderais bien de la publier ; ce serait, à mon avis, une indiscrétion sans profit pour le public, pour le poète ou le biographe. Je crois d’ailleurs qu’on a fort exagéré dans ces derniers temps l’importance des anecdotes littéraires, qu’on a souvent cherché dans des circonstances indifférentes l’explication ingénieuse, mais forcée, d’un poème ou d’un roman dont l’auteur lui-même n’aurait pas su indiquer la source. Et je m’assure, par exemple, que si l’auteur d’Hamlet revenait parmi nous, il s’étonnerait fort à la lecture des pages de Tieck et de Gœthe, qu’il désavouerait naïvement toutes les intentions métaphysiques que la critique allemande a baptisées de son nom.

L’auteur de Cinq-Mars est né à Loches, en Touraine, en 1798. Sa première éducation, commencée au Tronchet, vieux château, en Beauce, que possédait son grand-père, s’est achevée sans éclat dans un collége de Paris. Si quelque mémoire complaisante a recueilli sur la jeunesse d’Alfred de Vigny quelques-unes de ces anecdotes pareilles à celles que nous avons sur Platon et sur Virgile, je dois dire qu’elles ne sont pas venues jusqu’à moi, et que ses amis, s’il les connaissent, observent à cet égard une discrétion impénétrable. Mais je me réjouis volontiers de mon ignorance ; car je ne crois pas que ces révélations,