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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

Rien de moins, rien de plus. Anne d’Autriche, Marie, de Thou ne viennent qu’épisodiquement, mais sont tracés de main de maître. Une reine délaissée par un roi sans maîtresse, une jeune fille aimée par un aventurier qui joue sa tête contre un trône pour l’y asseoir, une amitié antique, plus belle et plus entière que toutes celles que nous avons dans les vies de Plutarque, voilà ce qui complète le caractère éminemment humain de Cinq-Mars.

Sans ces accessoires, le drame en lui-même eût sans doute été possible. Mais il eût trop ressemblé à ces tombeaux romains dont les ruines se voient encore en Italie, et qui, dédaignant le luxe pompeux de nos modernes mausolées, n’ont qu’une inscription concise sur un sarcophage.

Urbain Grandier, qui remplit plusieurs chapitres, n’est qu’un développement du caractère de Richelieu : peut-être pourrait-on demander pour l’harmonie générale de la composition que les proportions de cet épisode fussent réduites ; mais, à ce compte, nous perdrions toutes les inquiétudes paternelles de Grandchamp. Je ferai les mêmes réserves pour l’entretien très invraisemblable, si l’on veut, de Milton et de Corneille.

Depuis madame de Staël et Châteaubriand, on n’avait pas eu en France un roman écrit d’un style aussi pur, aussi châtié que Cinq-Mars. Il semblait que la prose proprement dite, la prose littéraire, eût déserté le domaine de l’imagination, et se fût réfugiée dans l’histoire. Cinq-Mars a rappelé la prose de son exil. Si l’on peut y blâmer parfois l’exubérance des similitudes et des images, il faut reconnaître qu’en général toutes les pages de ce beau roman se distinguent par la limpidité de la parole et aussi par des négligences de bon goût, par des phrases inachevées en apparence, qui ne ressemblent pas mal aux plis paresseux d’une robe de femme, qui demeurent derrière elle, quand elle a déjà franchi la porte.

Bien qu’Othello soit un beau travail de versification, cependant, je l’avouerai, j’eusse mieux aimé de toutes manières qu’Alfred de Vigny eût abordé le théâtre en son nom, sans gaspiller sa verve et sa poésie sur des œuvres admirables sans