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dans la même couche et qu’on nous appelait du nom d’époux : alors les portes étincelantes du Val-Halla ne se fermeront point devant lui, s’il s’avance suivi de mon cortège. Notre marche ne sera pas sans éclat ; car cinq de mes femmes, huit de mes serviteurs, mon père-nourricier et ma nourrice le suivront.

« J’en dirais plus, si l’épée me donnait le temps de parler davantage. Ma voix meurt, ma plaie s’ouvre. J’ai dit vrai : c’est ainsi qu’il fallait finir ! »

Un chant d’un pathétique peut-être aussi vif est celui qui est consacré à peindre la douleur de Gudruna. On voit qu’il est d’un autre auteur ; car il offre dans les détails des contrastes frappans dès les premiers vers.

« Il arriva un jour que Gudruna était près de mourir ; quand, assise tristement, elle se penchait sur le corps de Sigurd, elle ne soupira point, ne frappa point dans ses mains, ne se plaignit pas comme les autres femmes.

« Des chefs brillans vinrent vers elle pour adoucir son cuisant chagrin. Gudruna ne pouvait pleurer : la tristesse de son âme était si grande, qu’elle était prête à se briser.

« Les nobles épouses des chefs étaient assises couvertes d’or auprès de Gudruna, et chacune d’elles raconta le plus amer chagrin qu’elle eût éprouvé.

« Alors parla Giflôga, la sœur de Giuki. « Nulle plus que moi n’est privée de plaisir sur la terre : j’ai perdu cinq maris, deux filles, trois sœurs, huit frères, et je reste seule. »

« Mais Gudruna ne put jamais pleurer, tant elle était triste de la perte de son époux, tant son âme était endurcie par la mort de ce roi.

« Alors parla Herborga, la reine du pays des Huns. « Moi, j’ai une douleur plus cruelle à raconter : mes sept fils et mon mari, le huitième, sont tombés dans le pays de l’est. »

«Mon père et ma mère, mes quatre frères, ont été le jouet de l’Océan. Le flot a frappé le tillac de leurs vaisseaux. Moi-même j’étais forcée de soigner, de préparer, de diriger leurs funérailles. J’ai souffert tout cela dans une année, et pendant ce temps nul ne m’a consolée.