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REVUE DES DEUX MONDES.

La logique est plus rare que l’enthousiasme et plus entraînante mille fois, croyez-moi.[1]

Si donc Béranger ne parvient pas cette fois à faire émotion dans le peuple avec la mort du duc de Reichstadt ; s’il ne retrouve pas quelques paroles d’indignation pour sa mère, quelque admiration nouvelle pour son père, quelques raisons pour réchauffer le peuple de juillet comme on dit ; si Béranger laisse passer cette occasion superbe sans rien dire, il est mort comme poète. Enterrez le poète à côté du duc de Reichstadt ! Grand honneur !

Bien plus, vous verrez si dans la foule quelque adroit faiseur de pastiche ne fera pas une chanson à la Béranger, bien lamentable, en cinq couplets et en vers de dix syllabes, sur un air de M. Wilhem ! La foule, qui s’y connaît très bien, criera encore : quelle merveille ! par habitude, et chantera peut-être les couplets, aussi par habitude, et parce qu’elle n’aura pas la peine d’apprendre un nouvel air ! Elle est si stupide, la foule, quand elle n’est pas la plus intelligente des créatures ! Le premier venu va lui faire du Béranger très bon, comme on lui faisait des empoisonneurs très formidables au mois de mars ! Elle applaudira le Béranger postiche à outrance, comme elle a éventré horriblement les empoisonneurs supposés. Stupide foule ! sublime foule ! Il n’y a pas quinze jours que le Constitutionnel, écho de la foule, s’indignait contre une chanson carliste de Béranger ; or, la chanson carliste n’était pas de Béranger, mais c’était tout-à-fait sa manière, son rhythme, son refrain, et le Constitutionnel s’y connaît aussi bien

  1. Nous respectons trop la vive et consciencieuse indépendance du jugement exprimé par le brillant écrivain, notre collaborateur, pour chercher à y obtenir quelque modification et quelque affaiblissement. Nous nous permettrons toutefois de rappeler que Béranger, dès avant la révolution de juillet, s’était ouvert par les Bohémiens, par la Métempsychose, un genre de chanson ou ode philosophique, qu’il paraît avoir poussé plus loin depuis dans les Braconniers, le Faiseur d’or, et autres pièces dont on nous promet la publication cet hiver. C’est là, dans l’œuvre de notre célèbre et national poète, une nouvelle manière digne de couronner largement ses productions d’une autre époque. Nous attendrons ce dernier recueil, pour essayer d’apprécier dans toute son étendue la poétique et patriotique carrière de Béranger.

    S.-B…