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elle aurait à songer que si en 1814, en 1815, elle a pu fléchir sans honte sous le poids de l’Europe, dont elle avait amoncelé contre elle les représailles et les armées, aujourd’hui elle doit rester indépendante, sous peine de n’être plus une nation.

La révolution française n’est pas conquérante, elle est humaine ; elle pourra profiter des chances de la guerre si on l’y pousse ; mais elle ne s’y précipitera pas dans l’unique intérêt de quelques agrandissemens même raisonnables ; elle est pour nous ce qu’a été pour l’Allemagne la réforme, et la guerre qu’on lui déclarerait serait une guerre religieuse et sociale. Je tombe d’accord avec Hegel que la guerre est la défense d’une idée : or, l’idée que nous avons à maintenir, à pratiquer, à développer, à propager par notre exemple, c’est l’idée de l’égalité, base nouvelle d’un ordre nouveau ; égalité intelligente, commentaire social du principe évangélique, égalité morale, triomphe de l’esprit philosophique sur les accidens, les inconséquences, les erreurs et les attentats du passé ; égalité vraiment humaine et vraiment divine, idée médiatrice et complète, qui doit accoupler ensemble l’intelligence de l’homme et la justice de Dieu. Voila notre dogme, voilà notre théologie, voilà notre religion. Avez-vous une cause plus grande et plus sainte à comprendre et à servir ? Son nom ? son autel ? j’y cours. Ah ! tous tant que nous sommes, nous marchons à la découverte d’un Dieu inconnu, Deo ignoto ; car le travail de l’esprit humain n’est pas de nier Dieu, mais de le déplacer. Les Hébreux du désert portaient avec eux Jehovah dans un tabernacle mobile ; nous aujourd’hui, nous nous engageons à la poursuite d’un Dieu qui nous échappe encore : où donc est-il ? Pour moi, j’ai traversé bien des systèmes, des idées et des passions ; j’ai demandé partout le bonheur et la vérité, et je n’ai pu trouver quelque répit, quelque adoucissement à d’inconsolables inquiétudes que dans la foi à l’irrésistible loi qui entraîne l’humanité comme la lyre d’Orphée : les symboles se ternissent ; les images chancellent ; la lettre se fait hypocrite et mensongère ; les hommes manquent ; les âmes sont petites, les cœurs glacés, les esprits courts ; l’aridité et la désolation sorties des flancs de l’égoïsme répandent sur le monde la