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LETTRES PHILOSOPHIQUES.

stinctivement que l’énergie de l’homme lui donnera plus tard le secret de l’énigme ; il doit vaincre le sphynx pour le pénétrer ; donc il est raisonnable de s’élever contre cette partie théologique du christianisme ; mais en même temps il faut scruter et confesser notre nature ; il n’est pas bon de prendre pour une solution complète un premier instinct de résistance : la véritable science doit commencer par préciser la mesure de ce qu’elle cherche et de ce qu’elle ne sait pas encore ; et même là où le saint-simonisme se trouve sur la piste de la vérité, il s’est égaré à force d’impatience et de présomption. Quant à ce qui concerne la réhabilitation de la matière, j’y vois un effet et un pléonasme du panthéisme, qui incorpore la matière dans Dieu même et l’absout par cette assimilation ; j’y remarque aussi une vue de bon sens, une appréciation plus juste des travaux de l’industrie et des merveilles du luxe : c’est la pensée du mondain de Voltaire, revêtue d’une formule solennelle ; mais ici encore des aberrations sont venues se glisser après coup sous la souplesse d’une expression trop vague.

Les grands philosophes, tels que Platon, Spinosa, ont toujours fait dériver leur politique de leur philosophie métaphysique, et cette descendance, qui au fond est une identité, est la première condition d’une véritable philosophie sociale. L’école saint-simonienne se proposa d’imiter ce procédé. Mais l’exécution fut incohérente et factice ; en effet, au lieu de développer directement et avec simplicité le principe d’association qui est le véritable fondement de la doctrine saint-simonienne, et qui surtout en fait le mérite, on imagina de le déduire en apparence d’une métaphysique qui, en réalité, n’avait été usurpée qu’après coup. On proclama ambitieusement l’application sociale d’une conception religieuse nouvelle ; unité de Dieu et du monde, donc unité de l’homme et de la société ; amour, intelligence et force, donc artistes, savans et industriels ; vous reconnaissez ici, monsieur, un nouvel emprunt ; on complète Spinosa par Platon, par la république du disciple de Socrate, qui est divisée en trois classes, les magistrats, les guerriers et le peuple, division qui découle de la triplicité des facultés