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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

une savante analyse de Clara Gazul, a consacré aussi quelques pages à la Guzla. Il avait de l’auteur un exemplaire de son premier livre, et lui avait envoyé en remercîment sa médaille, qui est assez mauvaise. Il reçut pareillement son second livre. Mais il ne put se refuser au plaisir d’avoir l’air de deviner ce qu’il savait parfaitement. Il montra l’identité d’origine de Clara Gazul et de la Guzla par l’anagramme des deux mots. C’est une grande puérilité, mais très pardonnable. Plusieurs pièces de la Guzla ont été versifiées par Mrs Shelley, et presque sans altération. C’est qu’en effet la prose de Mérimée possède dans sa contexture presque toutes les qualités de la poésie rhythmique.

La Jaquerie, publiée en 1828, a été, selon toute apparence, composée avant Clara Gazul ; car il y a entre ces deux ouvrages une distance lointaine. Si l’on excepte un petit nombre de caractères qui sont énergiquement tracés, c’est une lecture sans attrait et souvent fatigante. Le continuel éparpillement de l’action, la brièveté de la plupart des scènes, et ce qui est pire encore, l’absence de volonté même implicite dans l’œuvre tout entière, la monotone succession des scènes de pillage et de meurtre, constituent, si l’on veut, une réalité possible, mais sans intérêt poétique, sans animation et sans puissance.

Dans une préface d’une douzaine de lignes, l’auteur dit qu’il a voulu suppléer au silence de Froissart. Puisqu’en effet les renseignemens historiques sur la Jaquerie sont rares et presque énigmatiques, le poète avait beau jeu et pleine liberté. Au lieu de perdre son temps à conjecturer et à reconstruire des faits ignorés, il eût mieux fait de les supposer hardiment, de les créer de toutes pièces. L’étude attentive des monumens lui aurait suffi pour se préserver de l’invraisemblance. S’il n’eût mis en œuvre que sa fantaisie, il n’aurait pu se défendre de l’unité, dont l’absence est si regrettable dans la Jaquerie.

La Famille Carvajal est un poème terrible, d’un haut mérite, mais ne ressemble pas mal aux écorchés de Gericault. C’est une vérité savante, incontestable, mais perceptible seulement pour quelques rares clairvoyances ; il serait fort à regretter que l’imagination humaine ne s’exerçât que sur de pareils sujets. Ce-