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HISTOIRE DU TAMBOUR LEGRAND.

à ma suite. Mais puisque ma foi n’est pas assez forte, il faut que mon imagination vienne à mon aide, et qu’elle me transporte sur les bords enchantés du Rhin.

Oh ! c’est là un beau pays, plein de grâce, et chauffé par un brillant soleil. Les montagnes se mirent dans des flots bleus et étincelans, avec leurs vieilles ruines de châteaux, leurs forêts et leurs cités gothiques. Là les bons bourgeois se tiennent sur le seuil de leurs portes, au déclin d’un jour d’été ; ils boivent dans de grandes cruches et causent amicalement entre eux, devisant du vin qui viendra bien, de la bonne chère qu’ils feront, de la cherté du tabac, des exactions de la régie, se disant que les hommes sont égaux, et que Goerres est un fameux compère.

Je ne me suis jamais occupé de tous ces discours. J’aimais mieux prendre place sous l’ogive de la fenêtre, près des jeunes filles, rire de leur rire, me faire jeter leurs fleurs au visage, et jouer le fâché jusqu’à ce qu’elles m’eussent conté leurs secrets ou d’autres importantes histoires. La belle Gertrude, comme elle se réjouissait quand je venais m’asseoir auprès d’elle ! C’était une fille qui ressemblait à une rose épanouie, et lorsqu’elle se jeta un jour à mon cou, je crus qu’elle allait brûler et s’évaporer dans mes bras. La belle Catherine, que sa douceur avait d’harmonie quand elle me parlait, et que ses yeux étaient d’un bleu pur et céleste, d’un bleu que je n’ai jamais trouvé ni dans les hommes ni dans les animaux, et bien rarement dans les fleurs ! Mais la belle Hedwige m’aimait ; car dès que je m’approchais d’elle, sa tête s’inclinait vers la terre et sa chevelure noire, tombant sur son visage qui rougissait, ne laissait voir que ses yeux brillans qui traversaient ce voile sombre. Ses lèvres pudibondes ne prononçaient pas un mot, et moi je ne pouvais non plus rien dire. Je toussais, elle tremblait, quelquefois elle me faisait dire par ses sœurs de ne pas gravir si rapidement les rochers, et de ne pas me baigner dans le Rhin quand j’avais chaud et quand j’avais bu. J’écoutais quelquefois sa pieuse prière devant la petite image de la vierge ornée d’un treillage d’or et éclairée par une lampe qui brûlait dans une niche au-dessus de la porte, je l’entendais distinctement qui priait la mère de Dieu de me défendre de grimper, de me baigner et de boire. Je serais certainement devenu amoureux de cette belle fille si elle avait été indifférente, mais je fus indifférent parce qu’elle m’aimait. — Madame, lorsqu’on veut se faire aimer de moi, il faut me traiter en canaille.