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HISTOIRE DU TAMBOUR LEGRAND.

voix séduisante. Je n’aurais jamais passé douze heures chez la signora Giulietta, si elle n’avait pris ce doux et odorant accent des tourtes en pommes ; et en vérité les tourtes en pommes ne m’auraient pas aussi fortement tenté, si le boiteux Hermann ne les avait pas si mystérieusement couvertes de son tablier blanc. Ce sont les tabliers qui… mais les tabliers m’entraîneraient hors de mon texte. Je parlais de la statue équestre qui avait tant de cuillères d’argent dans le ventre et pas de soupe, et qui représente l’électeur Jean Wilhelm.

Ce dut être un brave seigneur, aimant beaucoup les arts et lui-même très habile. Il fonda la galerie de tableaux de Dusseldorf ; et à l’observatoire, on montre encore un instrument qu’il a confectionné dans ses heures de loisir. — Il en avait vingt-quatre par journée.

Dans ce temps-là, les princes n’étaient pas des personnages tourmentés comme ils le sont aujourd’hui. La couronne qui leur poussait sur la tête y tenait fermement. La nuit ils mettaient un bonnet de coton par-dessus et dormaient tranquillement, et tranquillement à leurs pieds dormaient les peuples ; et, quand ceux-ci se réveillaient le matin, ils disaient : Bonjour ! père. — Et les princes répondaient : Bonjour ! chers enfans.

Mais tout-à-coup les choses changèrent. Un matin, à Dusseldorf, lorsque nous nous réveillâmes, et que nous voulûmes dire : « Bonjour, père, » le père était parti, et dans toute la ville régnait une sourde stupéfaction. Tout le monde avait une mine funèbre, et les gens s’en allaient silencieusement sur le marché, et y lisaient un long papier, affiché sur la porte de la maison de ville. Le temps était sombre, et cependant le mince tailleur Kilian portait sa veste de nankin, qu’on ne lui voyait jamais qu’au logis, et ses bas de laine bleue tombaient sur ses talons, de manière à laisser passer tristement ses petites jambes nues ; et ses lèvres minces tremblaient, tandis qu’il lisait le papier affiché sur cette porte. Un vieil invalide du Palatinat lisait à-peu-près à haute voix, et, à chaque mot, une larme bien claire découlait sur sa blanche et vénérable moustache. J’étais près de lui et je pleurais avec lui, et je lui demandai pourquoi nous pleurions. Il me répondit : L’électeur remercie ses sujets de leur loyal attachement pour lui. Puis il continua de lire, et à ces mots : « et il les dégage de leur serment de fidélité », il se mit à pleurer encore plus fort. C’est une fâcheuse chose que de voir