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rangées en ordre sur deux files et portant chacune un cierge à la main. Entre les rangs on distinguait quelques moines de San Francisco, occupés à maintenir l’ordre. À leur suite venaient trois almas santas, celle du milieu dominant, comme la première, ses voisines, qui étaient vêtues de noir et armées d’une longue épée au côté. Derrière elles marchaient deux à deux les barbiers de la ville, nu-tête, et vêtus de leur costume pittoresque des grandes cérémonies, consistant en une espèce de poncho étroit, noir, plein de gros plis dans sa longueur, et une culotte courte, sans bas ni souliers.

Chacun d’eux avait à la main un grand encensoir ou plutôt un réchaud d’argent suspendu à deux chaînes de même métal. Ils étaient suivis d’un immense brancard en bois doré, recouvert d’un dais et garni de lampes, de miroirs et d’images de saints, sur lequel apparaissait le Sauveur, vêtu des pieds à la tête d’une longue robe entièrement brodée en or, et portant sa croix. Derrière lui était don Simon el Cyreneo, ainsi que l’appelaient les assistans, qui, au lieu de porter la croix conjointement avec notre Sauveur, suivant l’usage, se contentait de la soutenir d’une main. Ce dernier personnage était d’une taille svelte, cravaté jusqu’aux oreilles, coiffé d’un chapeau placé cavalièrement de côté et porteur de deux épaisses et formidables moustaches. Des femmes, le cierge à la main suivaient le brancard dont les vingt porteurs pliaient sous le faix, puis le préfet de police portant un gros fanal et escorté de deux Franciscains, puis Notre-Dame des Sept Douleurs, la même que j’avais vue dans le couvent de San Francisco, vêtue d’une belle robe de velours bleu parsemée d’étoiles d’or. Enfin, deux Madeleines fermaient la marche. De distance en distance étaient placés des groupes de musiciens, qui, par intervalles, faisaient entendre des sons discordans que je ne puis mieux comparer qu’à ceux que produit chez nous l’instrument du petit savoyard qui fait danser ses marionnettes. Cette procession suivait lentement une longue rue, légèrement en pente, et malgré le ridicule auquel elle ne prêtait que trop, l’effet qu’elle produisait n’en était pas moins imposant.

Le lendemain, une seconde procession eut lieu, mais bien moins brillante que celle de la veille ; elle était formée en entier d’Indiens, sans qu’aucun prêtre y assistât, et n’offrit rien de remarquable. Dans la journée se présenta chez moi un personnage entièrement vêtu de violet de la tête aux pieds, la figure couverte d’un masque, et portant une sangle en cuir en guise de ceinture ; j’attendis en silence qu’il m’expliquât le motif de sa visite, mais il se tint modestement sur le seuil de la porte sans proférer une parole, et après avoir frappé trois fois avec une pièce de monnaie sur un plateau d’argent qu’il tenait à la main, il se retira sans rien dire. Un second lui succéda et répéta le même manège. J’appris que c’étaient des pénitens faisant une quête, et que les personnes les plus distinguées de la ville se chargent souvent de ce rôle.

Une pluie continuelle qui tombait le mardi fit remettre au jour suivant