Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 7.djvu/644

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
644
REVUE DES DEUX MONDES.

une tragédie bourgeoise, Die Machte der Verhæltnisse (la puissance des rapports), qu’on représente journellement sur la plupart des théâtres de l’Allemagne.

En 1817, Robert paya son tribut à l’enthousiasme de l’époque, par un volume de poésies sur les grands évènemens qui, depuis 1813, avaient changé la face de l’Europe ; mais sa lyre ne connut jamais la flatterie, il ne venait pas bravement au secours des monarques vainqueurs, sa voix généreuse s’élevait comme celle de Jean-Paul en faveur des peuples ; véritable patriote dans le bon sens de ce mot, et sincère ami d’une sage liberté, il tirait du passé des leçons pour l’avenir. Il publia ensuite successivement plusieurs nouvelles qui rappellent, par leur côté satirique, la manière de Cervantes, et les poésies épigrammatiques qu’il inséra dans les Rheinbluthen, en 1824 et 1825, sont presque toujours présentées sous la forme la plus heureuse.

Robert écrivait dans le journal littéraire de Iéna, et plus fréquemment encore dans le Morgenblatt, où, depuis 1830, il avait publié les Nouvelles Lettres d’un mort. C’était une suite à celles du prince Puckler, qui eurent tant de vogue en Allemagne ; Robert sut s’approprier ce cadre ingénieux : il datait cette correspondance, tantôt de l’autre monde, et tantôt de celui-ci, soit que l’ombre du dandy voyageur erre encore sur cette terre, soit qu’elle se promène de planète en planète. La veille du jour de notre séparation, il me montra une de ces lettres qu’il venait de terminer, elle était écrite de Saturne ; j’y remarquai quelques allusions à Bœrne et au journal de l’église évangélique de Berlin ; la tendance de cette feuille est une sorte de jésuitisme protestant, et Robert a toujours été l’antagoniste le plus décidé des piétistes et des mystiques modernes. Cette épître est d’ailleurs entièrement politique : c’est une argumentation judicieuse et serrée qui s’attaque également aux théories radicales et absolutistes. Les lettres précédentes traitaient des théâtres et de la littérature. Peu de temps avant que la mort ne le frappât, Louis Robert avait composé un prologue pour une représentation que les acteurs de Calsruhe donnèrent à la mémoire de Goëthe. Ce sont les derniers vers qui soient sortis de sa plume. À le voir dans son intérieur, si plein d’aménité, et environné de tant de bonheur domestique, aurais-je pu croire qu’une existence si paisible et si douce se fût si tôt brisée ? — Je lui avais fait lire Stello ; il fut saisi d’un tel enthousiasme pour le talent original et la verve créatrice de ce livre si profondément pensé et animé de couleurs si vives, que, malgré sa répugnance habituelle pour les traductions, il avait entrepris de le faire passer dans la langue allemande, croyant ne pouvoir plus richement doter la littérature de son pays qu’en y naturalisant un tel ouvrage.


édouard de la grange

.