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ROMANS DE LA TABLE RONDE.

« Mais en un lit jurent ensemble ;
« Et la belle dès premier (d’abord) tremble,
« Et molt se doute (craint) et molt s’esmaie (se trouble)
« Que la poison ne soit veraie (vraie, efficace) ;
« Ma ele l’a si (tellement) enchanté,
« Qu’il jamais n’aura volonté
« D’ele ni d’autre, s’il ne dort,
« Mais lors en aura tel déport (plaisir),
« Come on peut en songeant avoir,
» Et si tiendra le songe à voir (pour vrai).
« .............
« Il dort, et songe et veiller cuide (pensé),
« S’est en grand poine (fatigue) et en estude
« De la princesse losangier (louer, caresser).
« .............
« Et il tant maintenant l’appele :
« Molt soavet (très doucement), ma douce mie
« Tenir la cuide n’en tient mie ;
« Mais de néant est en grand aise,
« Néant embrasse, néant baise,
« Néant tient et néant accolle,
« Néant voit à néant parole,
« A néant tauce (querelle), a néant luite.
« Molt fu bien la poison confite ;
« S’ainsi le travaille et demaine,
« De néant est en molt grand’peine
« Que de voir cuide, et si s’en prise
« Qu’il ait la forteresse prise :
« Ainsi le cuide, ainsi le croit,
« Et de néant lasse et recroit (se fatigue). »

Ces vers paraîtront très remarquables, si l’on considère qu’ils sont du commencement du treizième siècle, ou peut-être même de la fin du douzième. Le fond en est ingénieux et le tour agréable ; mais cette complaisance du poète à tourner et retourner en tous sens dans son imagination, à paraphraser mollement et subtilement une fiction un peu scabreuse, prouvent clairement combien, dès une époque si reculée, le style épique avait perdu de sa simplicité et de sa gravité premières dans les romans de la Table ronde et dans tous ceux du même genre. Cette même idée, qui paraît avoir préoccupé si vivement l’imagination de Chrétien de Troyes, je me souviens de l’avoir ren-