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Enfin, un soir que Mustapha était retiré dans son harem, deux hommes frappèrent violemment à la porte de son hôtel : ils avaient le costume élégant de mamelouk, et portaient une canne haute et à pommeau d’argent. C’étaient des kawas du grand-visir. Leur maître demandait Mustapha-Bey : ils avaient ordre de l’emmener avec eux. Mustapha se disposa à la hâte et les suivit en silence, cachant son émotion ; car être appelé à cette heure et avec cet empressement chez le grand-visir, c’est une haute faveur ou une disgrâce éclatante, qui doit être l’issue d’une pareille audience : c’est la mort ou la fortune qui vous convie.

Ils traversèrent nombre de rues silencieuses et qui semblaient être abandonnées à une population de chiens hideux. N’étaient les pas lourds du bekdji et le bruit lugubre de son bâton ferré sur le pavé, on pourrait se croire dans une ville encore debout, mais veuve de ses habitans. Personne dans les rues, obscurité aux fenêtres, silence partout. On dort, ou bien, si l’on ne dort pas, on se tait, et l’on se tait d’un silence sans lumière ; la clarté serait encore du bruit ; elle attire des regards.

Puis il fallut traverser le port. Ils se placèrent en silence dans un kaïk qui les attendait. Constantinople, à cette heure, apparaît comme un tableau ébauché. La pointe du seraï, son vaste amphithéâtre, ses élégans minarets, sont vaguement indiqués et semblent attendre du pinceau une forme plus précise et plus pure.

Ils arrivèrent à l’autre rive et parcoururent encore des rues tortueuses, mornes et muettes. De loin en loin, un fanal passait, jetant une lueur blafarde ; et l’on n’avait vu que le fanal, tant celui qui le portait se couvrait de silence et se cachait dans l’ombre ; enfin Mustapha entra chez le grand-visir.

C’était dans une salle reculée du palais. Une seule lampe, placée sur une espèce de tabouret, répandait une clarté douteuse. Le pacha était seul, et sa figure exprimait cette sombre mélancolie que donne la satiété du pouvoir, quand on sait ce qu’il coûte, qu’on s’y attache comme à une dernière planche de