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REVUE DES DEUX MONDES.

Rome M. de la Mennais, mais en ce moment même je lis dans nos journaux[1] une lettre encyclique du pape Grégoire xvi, donnée près de Sainte-Marie-Majeure, le 15 août dernier, jour de l’Assomption, dans laquelle M. de la Mennais, sans être nommé, se trouve signalé, condamné. Il y est dit qu’il est tout-à-fait absurde et souverainement injurieux pour l’église que l’on mette en avant une certaine restauration et régénération comme nécessaire pour pourvoir à sa conservation et à son accroissement. Et ceux qui forment de tels desseins sont avertis qu’au pape seul appartient le droit de prononcer sur les règles anciennes. Dans la même lettre, la liberté de la presse et de la pensée est traitée de liberté funeste, et dont on ne peut avoir assez d’horreur.

Il est beau pour M. de la Mennais de trouver sa condamnation à côté de l’anathème dirigé contre le génie de l’humanité. Qu’il s’en glorifie au lieu de s’en contrister ! Qu’il puise dans cette injurieuse ingratitude une leçon salutaire et des forces nouvelles. Voilà les décisions de cette infaillible autorité ; voilà la récompense de la foi dans sa justice et sa compétence. Que l’illustre auteur de l’Essai reprenne sa fierté et son indépendance ; sans imiter Fénelon, qu’il soit lui-même ; il a rompu avec les gallicans, il peut briser avec Rome ; il a le goût du schisme, qu’il en ait le courage ; l’ancien catholicisme le repousse, qu’il se montre donc néochrétien ; nous croyons comme lui, que l’unité est la loi de l’homme et des sociétés humaines ; seulement c’est dans l’avenir et non dans le passé, dans l’esprit et non dans la tradition, dans l’activité et non dans une humble obéissance, que nous cherchons le germe d’une unité vivante, et non pas exhumée, nouvelle, et non pas recrépie. Que M. de la Mennais et sa brillante école renoncent aux déclamations contre la philosophie, comme ils y ont déjà renoncé contre la liberté. En vain on se débat contre l’esprit qui pousse le monde, on le suit tout en lui résistant ; il vous envahit au moment même où vous le combattez : mieux vaudrait reconnaître son empire et se vouer à son service, on serait plus conséquent et plus utile.

  1. Quotidienne, du 8 septembre 1832.