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MŒURS DES AMÉRICAINS.

rait-elle respecter le magistrat qu’elle vient de faire et qu’il ne tiendra qu’à elle de révoquer demain, la loi qui émane d’elle et qui demain cessera d’être loi, si elle le veut ? Et ce magistrat, comment ne tremblerait-il pas devant son maître ? Et cette loi que le peuple a faite, comment contiendrait-elle des dispositions sévères contre lui ? Et comment se gênerait-il beaucoup pour l’observer, lui qui l’a voulue pour son bien, si son bien lui paraît vouloir qu’il ne l’observe pas ? Et comme tout magistrat a ses défauts, et toute loi ses inconvéniens, est-il possible que l’un ou l’autre résiste long-temps à la critique d’hommes qui sont parfaitement libres de les changer ? Sans compter que cette foule souveraine, étant peu éclairée, est capricieuse, que mille personnes sont toujours intéressées à ce qu’elle change d’opinion ; sans compter enfin qu’elle se plaît à exercer son pouvoir, et que, si elle ne changeait pas d’opinion, elle se ravirait à elle-même les occasions de le faire. De là l’extrême jalousie et l’extrême mobilité des démocraties. En Amérique comme à Athènes, j’allais dire comme à Paris, tout homme qui est en place est un pauvre homme, et toute loi qui règne est une loi détestable. On se hâte de changer, et l’homme ou la chose substitués, subissant à leur tour la même loi, sont changés à leur tour, et ainsi de suite indéfiniment. Aussi rien ne s’assied et ne dure sur le sol américain. L’état change ses lois, chaque province ses institutions, chaque particulier sa profession et ses habitudes, avec une incroyable facilité. C’est précisément le contraire de ce qui arrive dans les aristocraties, et il est impossible que des habitudes formées sous ce dernier régime se trouvent heureuses au sein de cet orage éternel.

Une seule chose est sacrée dans les démocraties : l’individu ; car le souverain en est composé, et il y a égalité entre les élémens. On n’ose pas mettre à mort le criminel en Amérique, et quand vient l’heure du supplice, ce n’est pas le criminel qui est embarrassé, c’est le bourreau qui est honteux, qui hésite, qui n’ose pas, qui supplie le coupable de vouloir bien user d’un des moyens que la loi lui a ménagés pour éviter d’être pendu. Ce respect de la loi pour l’individu, l’individu l’a pour lui-même.