Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 7.djvu/80

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
76
REVUE DES DEUX MONDES.

Rien n’est bon, rien n’est vrai, que ce qui lui paraît bon et vrai. Il est d’un orgueil, d’une susceptibilité d’indépendance extrêmes. Ne prétendez pas lui enseigner quelque chose, le réformer en quelque chose ; ne vous avisez pas d’oser lui faire du bien, lui éviter du mal : ce serait un attentat à son indépendance ; ce qui lui arrive, ce qu’il pense, le mal comme le bien, l’erreur comme la vérité, tout cela ne regarde que lui, et vous n’avez pas à vous en mêler. De là la jalousie d’indépendance des états particuliers à l’égard du gouvernement fédéral et la faiblesse croissante de celui-ci ; de là celle de chaque canton à l’égard de l’état, et de chaque village à l’égard du canton ; de là enfin celle de l’individu, superbe et majestueuse, et qui domine toutes les autres, parce qu’elle les engendre. De là, aussi, ces religions qui règnent sur une demi-douzaine de fidèles, quelquefois moins, chacun se faisant la sienne, trouvant tout simple d’être à-la-fois le fondateur, le prêtre et le troupeau, et tout naturel cependant, tant il a de respect pour ses idées, de baptiser cette religion personnelle, de la proclamer, et de lui procurer une place dans la liste de celles qui gouvernent la terre, à côté du catholicisme ou de telle autre qui règne sur des millions d’hommes. De là, en un mot, tout ce génie de décomposition, qui en tout pousse à la poussière, et ne s’arrête qu’à l’atome, génie qui est éminemment celui de la démocratie.

Comment des hommes qui pensent ainsi, pourraient-ils faire le moindre cas de ceux qui pensent autrement ? Quelle figure espérez-vous faire à leurs yeux, vous qui reconnaissez des nobles et des rois, vous qui admettez qu’il y ait des hommes plus sages que d’autres, et devant l’opinion desquels il est bien de courber la sienne ; vous, qui en un mot, reconnaissez une autorité supérieure à celle de l’individu ? L’Américain a pitié de vous ; il vous considère comme des aveugles ou des sots, portant le joug des vieux préjugés de l’Europe, infiniment en arrière de la jeune Amérique dans la carrière de la civilisation. Vous lui êtes inférieurs en politique, donc vous lui êtes inférieurs en tout. Vous êtes arriérés en littérature, en peinture, en musique, en philosophie. Il y a lieu de penser qu’un jour vous arriverez en