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MŒURS DES AMÉRICAINS.

tout cela au point élevé où elle en est : mais il vous faudra bien du temps, et d’ici là, vous en êtes réduits au rôle de l’admiration pour elle, comme elle en est réduite à celui de la compassion pour vous. Tels sont les sentimens des masses américaines pour les Européens ; et à cet égard, ils ne souffrent pas la discussion. On peut juger si cet absurde dédain a beaucoup amusé mistress Trollope. Rien ne l’a plus mortellement blessée en Amérique, d’autant mieux que la vieille Angleterre a plus que sa part dans ce mépris démocratique, et que la pauvre dame ne trouvait aucun allié au milieu de ce monde d’ennemis. Aussi se prit-elle un jour d’une belle passion pour une jeune Allemande qu’elle rencontra dans les rues de Philadelphie, par un beau clair du lune, et qui lui dit naïvement : « Oh ! madame, ils n’aiment pas la musique, ils ne sentent pas la musique, ils ne comprennent pas la musique ; comment pourrait-on vivre dans un tel pays ? j’y mourrai d’ennui ! » Et elle se mit à pleurer, et mistress Trollope fut bien heureuse.

Le mépris pour les femmes est un autre caractère de la véritable démocratie. Comme, en dépit de l’égalité, elles ne font point partie du souverain, elles demeurent étrangères à la vie politique de leurs maris ; et comme cette même vie politique occupe sans cesse ces derniers et les absorbe, il s’ensuit que les hommes et les femmes forment deux races isolées, et qui ne se rapprochent guère que pour les choses indispensables. Ajoutez aux soins de la vie politique, l’activité dévorante qu’elle imprime à toutes les poursuites de l’ambition et de la cupidité, la grossièreté d’habitudes qu’elle engendre, l’éloignement qu’elle inspire pour tous les goûts élégans et pour tous les arts qui rapprochent les deux sexes, en rendant le plus faible aimable au plus fort, et vous comprendrez jusqu’où va cet isolement. Les pauvres femmes sont donc très abandonnées en Amérique ; et ne trouvant aucun avantage à plaire, elles en négligent les moyens, et sont pour la plupart, très insignifiantes et assez sottes. D’ailleurs, quoiqu’on soigne beaucoup leur éducation, qu’on affecte de leur apprendre le latin et le grec, et que le programme de leurs études pût faire honte à l’enseignement