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théologiens, théosophes, philosophes et poètes (Dante était tout cela), on vit par malheur, dans les siècles qui suivirent, un démembrement successif, un isolement des facultés et fonctions que le grand homme avait réunies en lui : et ce démembrement ne fut autre que celui du catholicisme même. La théologie cessa de tout comprendre et de plonger dans le sol immense qui la nourrissait : elle se dessécha peu à peu, et ne poussa plus que des ronces. La philosophie, se séparant d’elle, s’irrita et devint un instrument ennemi, une hache de révolte contre l’arbre révéré. Les poètes et artistes, s’inspirant moins à la source de toute vie et de toute création, déchurent du premier rang où ils siégeaient dans la personne de Dante, et la plupart finirent par retomber à ce sixième degré où Platon les avait relégués au bas de l’échelle des ames, un peu au-dessus des ouvriers et des laboureurs. La théosophie, c’est-à-dire l’esprit intelligent et intime des religions, s’égara, tarit comme une eau hors de son calice, ou bien se réfugia dans quelques cœurs et s’y vaporisa en mystiques nuées. C’est là que les choses en étaient venues au dix-huitième siècle, principalement en France. Et pourtant les ames tendres, élevées, croyant à l’exil de la vie et à la réalité de l’invisible, n’avaient pas disparu ; la religion, sous ses formes rétrécies, en abritait encore beaucoup ; la philosophie dominante en détournait quelques-unes sans les opprimer entièrement. Mais toutes manquaient d’organe général et harmonieux, d’interprète à leurs vœux et à leurs soupirs, de poète selon le sens animé du mot. Racine dans quelques portions de son œuvre, dans les chœurs de ses tragédies bibliques, dans le trop petit nombre de ses hymnes imités de saint Paul et d’ailleurs, avait laissé échapper d’adorables accens, empreints de signes profonds sous leur mélodieuse faiblesse. En essayant de les continuer, d’en faire entendre de semblables, non point parce qu’il sentait de même, mais parce qu’il visait à un genre littéraire, Jean-Baptiste égarait toute spiritualité dans les échos de ses rimes sonores : Racine fils, bien débile sans doute, était plus voisin de son noble père, plus vraiment touché d’un des pâles rayons. Mais où trouver l’âme sacrée qui chante ? Fénelon n’avait pas de successeur pour la tendresse insinuante et fleurie, pas plus que Mallebranche