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mentine, pourquoi Lucrèce et Jeannette ? Après les plus purs et les plus saints ravissemens de l’amour, après ses transes les plus poignantes et les plus cruelles, après le deuil et le désespoir, pourquoi soudain l’oubli du cœur et les grossières consolations des sens ? La vie est ainsi, direz-vous. Oh ! oui, peut-être. Pourtant il faudrait ne pas l’avouer avec tant de sincérité ; il faudrait ne pas nous rappeler si hautement combien nous sommes ingrats envers ceux qui nous ont aimés et oublieux de nos plus chers souvenirs. J’aurais voulu que l’auteur ne se hâtât pas tellement de sécher lui-même les pleurs qu’il nous avait arrachés.

Mademoiselle de Marsan, qui fait en quelque sorte suite aux Souvenirs de Jeunesse, est un livre beaucoup moins intime et beaucoup moins vrai, selon nous. Ce n’est pas qu’il n’y faille reconnaître de bien remarquables morceaux, entre autres l’épisode de la Torre Maldetta, dans lequel le supplice d’Ugolin et de ses enfans se trouve peint avec une si effroyable vérité par l’écrivain qui en a subi lui-même toutes les angoisses, toutes celles du moins qu’il en pouvait supporter sans mourir. Mais, en somme, Mademoiselle de Marsan n’est guère qu’un roman de l’école d’Anne Radcliffe, un roman criblé de trappes et de souterrains, écrit seulement comme écrit M. Charles Nodier, d’un style auquel on ne nous avait pas habitués dans ces sortes d’ouvrages. Considéré sous ce point de vue, c’est un essai curieux et vraiment bien original.

Les Rêveries, qui viennent clore la série des œuvres de M. Charles Nodier, sont en général d’ingénieux et spirituels paradoxes, développés avec une apparence de candeur et de conviction qui séduisent et entraînent irrésistiblement ; on se laisse aller soi-même aux caprices et aux fantaisies d’imagination de l’écrivain, et l’on se surprend ensuite bien étonné de tout le chemin qu’il vous a fait faire dans le pays des rêves et des utopies. Impatienté que l’on est d’avoir été mené si loin, on se reproche parfois alors la docilité naïve avec laquelle on a suivi le mystificateur, et l’on va jusqu’à malicieusement admirer combien dans ces pages brillantes, que l’on avait lues d’abord de si bonne foi, la puérilité du fond contraste souvent singulièrement avec la magnificence de la forme.

Si nous considérons maintenant dans leur ensemble les divers ouvrages que nous avons rapidement passés en revue, il semble que ce qui les caractérise principalement et les classe surtout à part, c’est d’abord la profonde individualité dont ils sont empreints, et puis les qualités éminentes de leur style.

M. Charles Nodier se raconte et se révèle en effet lui-même, non-seulement dans ses mémoires, dans ses souvenirs, mais bien aussi dans