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France. Il ne constate pas seulement qu’il y avait, au xie siècle, des légendes provençales de forme épique ou narrative ; il nous apprend quelque chose de plus particulier : il nous apprend qu’il existait dès lors une classe de jongleurs ambulans qui chantaient ces légendes de ville en ville dans les contrées de langue provençale, et même, à ce qu’il paraît, au-delà des Pyrénées, en Aragon et en Catalogne.

Ces faits auxquels je pourrais, au besoin, en ajouter plus d’un autre, ne laissent, ce me semble, aucun doute sur la conclusion très-générale que j’en veux tirer. Ils prouvent que, bien avant le xiie siècle, où commence la période des troubadours, il y eut, dans la littérature populaire du midi, diverses compositions de forme épique, diverses fictions romanesques, les unes fondées sur des traditions gallo-romaines, les autres tirées de légendes de saints, plusieurs ayant rapport aux guerres et aux affaires des chrétiens avec les Arabes d’outre les Pyrénées.

Assez peu importe ici la question du mérite poétique de ces compositions : on peut toutefois observer que celles dont nous pouvons juger, supposent, dans leurs auteurs et dans les populations parmi lesquelles elles circulaient, un sentiment épique assez développé. Maintenant, pour ramener ces faits divers à la question particulière qui nous occupe, ces populations provençales qui, aux ixe, xe et xie siècles, avaient des légendes pieuses, des fables héroïques entées sur des traditions nationales, des fictions romanesques dans lesquelles les Arabes jouaient un grand rôle, ces populations perdirent-elles tout à coup, au xiie siècle, le goût et la capacité épiques dont elles avaient fait preuve auparavant ? Cessèrent-elles brusquement d’avoir besoin de fables, de fictions, de traditions historiques poétisées ? Ou bien les poètes de l’époque, les troubadours, bien que d’ailleurs beaucoup plus cultivés que leurs devanciers, n’avaient-ils plus la faculté de satisfaire ce besoin ?

Ces questions ne sont pas sans intérêt, et il n’est pas difficile d’y répondre.

Il est vrai que les idées et les mœurs chevaleresques, qui, dès le xiie siècle, commencèrent à régner dans le midi de la France,