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ROMANS PROVENÇAUX.

furent l’occasion d’une grande révolution dans la poésie. — L’amour étant devenu le principe absolu de toute moralité, de tout mérite, et le culte des dames, le but idéal de tout homme qui visait à la renommée, la poésie, organe de ces sentimens nouveaux, de cet enthousiasme de galanterie devenu l’ame de la haute société, prit de là de nouvelles tendances et un nouveau caractère. L’expression délicate, ingénieuse, harmonieuse, élégante, de l’amour devint le but le plus élevé de cette poésie, qui, se repliant, pour ainsi dire, du monde extérieur, sur le cœur humain, y chercha et y émut des points qui n’avaient pas encore été touchés. Les genres lyriques prirent dès-lors, dans le sentiment et le goût des classes cultivées, une prépondérance décidée sur les genres épiques. — Toutefois, ceux-ci ne furent point abandonnés, et l’époque des troubadours n’eut pas seulement ses compositions narratives, ses fictions romanesques, ses fables héroïques, ses pieuses légendes, comme les époques précédentes ; elle les eut avec quelques-uns des raffinemens et des perfectionnemens qui s’étaient d’abord introduits dans les genres lyriques.

Le mouvement de la première croisade fut beaucoup plus général et plus profond encore dans le midi de la France que nulle autre part ; et le génie épique eût-il jusque-là sommeillé dans ce pays, il s’y serait éveillé au bruit d’un pareil événement, d’un événement qui ébranlait si fort toutes les imaginations.

Il y eut, en effet, en provençal, diverses tentatives poétiques pour célébrer cet événement, pour en perpétuer la mémoire ; et l’histoire a gardé le souvenir de quelques-unes de ces tentatives.

Je ne m’arrêterai point au poème dans lequel les historiens du temps nous apprennent que Guillaume viii, comte de Poitiers, le plus ancien des troubadours connus, de retour de sa désastreuse expédition de 1101, en tourna les malheurs en ridicule. Il n’est pas sûr que cette pièce de vers fût de forme narrative et d’une certaine étendue. Ce n’était peut-être qu’une saillie toute lyrique, d’humeur cynique et bouffonne, dans le goût de quelques autres pièces qui nous restent de lui.

Mais il y eut, en provençal, un récit poétique des événemens de la première croisade, infiniment plus regrettable que la pièce