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de Guillaume de Poitiers, lyrique ou narrative : ce fut celui de Bechada.

La plupart des historiens de la poésie française ont parlé d’un Bechada de Tours en Touraine, auquel ils attribuent un poème en langue française sur la première croisade, et qu’ils signalent en conséquence comme le plus ancien poète français mentionné par l’histoire.

Il y a dans ce témoignage des méprises grossières désormais assez généralement reconnues. Le Bechada dont il s’agit était, non pas de la ville de Tours en Touraine, mais de la bourgade des Tours en Limousin. Il se nommait Grégoire des Tours, Bechada n’étant qu’un surnom, ou sobriquet de famille. Le prieur de Vigeois, qui parle de lui dans son intéressante chronique, et qui avait pu le voir, ou du moins en entendre parler par des hommes qui l’avaient vu, nous en apprend tout ce que nous en savons.

Il le donne pour un chevalier de beaucoup de talent naturel, et qui avait même quelque teinture des lettres latines. Il ne dit point expressément que Grégoire ait été à la première croisade ; mais l’ensemble de ses paroles semble impliquer ce fait particulier. Quoi qu’il en soit, frappé des grands événemens de cette expédition, Grégoire voulut en célébrer la mémoire dans un récit populaire, en vers et dans sa langue maternelle. Jaloux de donner à son travail toute la perfection possible, il y mit douze ans entiers ; et l’on ne saurait douter que l’ouvrage ne fût très-considérable, puisque le chroniqueur qui en parle, le qualifie d’énorme volume.

On ne sait pas si le récit de Bechada était purement et strictement historique, ou entremêlé de fables et de particularités merveilleuses. Cette dernière hypothèse est la plus probable.

Ce grand travail de Grégoire de Bechada des Tours embrassait l’ensemble des événemens de la première croisade ; mais d’autres poètes, doués d’un sentiment plus juste de la nature et de la destination de l’épopée et des chants épiques, traitèrent isolément les incidens les plus mémorables de la sainte expédition. Ainsi, par exemple, le siége d’Antioche, si remarquable par les héroïques efforts qu’il coûta aux croisés, fut chanté au