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ROMANS PROVENÇAUX.

sons, et savait qu’il y mourrait une fois ou l’autre. Il ne voulait pas cependant revenir de ce côté, et s’il revint, il retourna bien vite mourir là-bas sur la mer, sur la grande mer dont il ne put plus sortir. »

Je n’insiste pas davantage sur les allusions signalées : j’y reviendrai, pour en examiner et en préciser les conséquences relativement à la question particulière que je me suis donnée à résoudre. Ce que j’en ai dit me paraît suffire pour démontrer d’une manière vague et générale qu’il y eut, aux xiie et xiiie siècles, dans la littérature des troubadours, des compositions romanesques, des romans épiques.

Mais peut-être y a-t-il ici une difficulté, une objection à prévenir : peut-être la perte de tant d’ouvrages, répandus sur une assez grande étendue de pays, et qui ne remontent pas à des temps très-reculés, paraîtra-t-elle un fait peu vraisemblable, et peut-être cette réflexion jettera-t-elle de l’incertitude ou de l’obscurité sur la valeur historique des allusions relatives à ces ouvrages. Il est facile de dissiper ce scrupule. D’abord, les romans de tout genre diversement mentionnés par les troubadours n’ont pas tous péri ; il s’en est conservé quelques-uns, assez pour garantir, si cela pouvait être nécessaire, la propriété et le sens historique des allusions qui s’y rapportent, et de toutes les allusions de même espèce.

Quant à ceux des romans en question qui sont véritablement perdus, il y a pour en expliquer la perte, autant de raisons que l’on en peut convenablement exiger. — Je me bornerai ici à en signaler rapidement quelques-unes.

La monstrueuse guerre des Albigeois, qui détruisit la civilisation du midi, porta aussi un coup mortel à sa littérature. La domination française s’étant établie dans le pays, les classes élevées s’y trouvèrent bientôt dans la nécessité d’adopter le français pour langue : le provençal, l’idiome des troubadours, idiome très-délicat, et du système grammatical le plus raffiné, cessa d’être cultivé, d’être une langue écrite ; il resta l’idiome des masses, dans la bouche desquelles il devait se corrompre et se dénaturer de plus en plus.