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POÈTES CONTEMPORAINS.

tine ; c’est de Bernardin de Saint-Pierre, de M. de Chateaubriand et de lui-même. La lecture de Bernardin de Saint-Pierre produit une délicieuse impression dans la première jeunesse. Il a peu d’idées, des systèmes importuns, une modestie fausse, une prétention à l’ignorance, qui revient toujours et impatiente un peu. Mais il sent la nature, il l’adore, il l’embrasse sous ses aspects magiques, par masses confuses, au sein des clairs de lune où elle est baignée ; il a des mots d’un effet musical et qu’il place dans son style comme des harpes éoliennes pour nous ravir en rêverie. Que de fois enfant, le soir, le long des routes, je me suis surpris répétant avec des pleurs son invocation aux forêts et à leurs résonnantes clairières. Lamartine, vers 1808, devait beaucoup lire les Études de Bernardin ; il devait dès-lors s’initier par lui au secret de ces voluptueuses couleurs dont plus tard il a peint dans le Lac son souvenir le plus chéri :

Qu’il soit dans le zéphir qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l’astre au front d’argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés !

Le génie pittoresque du prosateur a passé tout entier en cette muse : il s’y est éclipsé et s’est détruit lui-même en la nourrissant. Aussi, à part Paul et Virginie, que rien ne saurait atteindre, Lamartine dispense à peu près aujourd’hui de la lecture de Bernardin de Saint-Pierre ; quand on nommera les Harmonies, c’est uniquement de celles du poète que la postérité entendra parler. Lamartine, vers le même temps, aima et lut sans doute beaucoup le Génie du Christianisme, René : si sa simplicité, sa droiture de goût ne s’accommodaient qu’imparfaitement de quelques traits de ces ouvrages, son éducation religieuse non moins que son anxiété intérieure le disposait à en saisir les beautés sans nombre. Quand il s’écrie à la fin de l’Isolement, dans la première des premières Méditations :

Et moi je suis semblable à la feuille flétrie…
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !