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ROMANS PROVENÇAUX.

comprend vingt-trois ans de la première moitié du xiiie siècle, il serait possible que le roman en question eût été composé dans le cours de ces vingt-trois ans, et par conséquent avant 1250, date convenue de celui de Thomas d’Erceldoune.

Ce n’est que sur le rapprochement et la comparaison des traits caractéristiques des deux productions, que l’on peut asseoir une opinion motivée sur leur ancienneté relative. Mais du moins le résultat d’un pareil rapprochement est-il aussi clair et aussi certain que l’on puisse le désirer. — Le Tristan de Thomas d’Erceldoune est une fable en vers, courte, simple et claire. Le Tristan attribué à Luce, seigneur de Gast, est une fable en prose, et en prose souvent recherchée et maniérée ; c’est une fable d’une longueur démesurée, où toutes les données de la précédente sont amplifiées, paraphrasées, compliquées, surchargées d’ornemens accessoires. Elle lui est donc certainement postérieure, ce qui du reste n’empêche nullement qu’elle n’ait été composée sous le règne d’un roi nommé Henri, pour la satisfaction de ceux qui tiennent à cette particularité comme à une donnée historique positive. De 1250, époque de la composition du Tristan de Thomas, à 1272, année de la mort de Henri iii, il y a un intervalle de vingt-deux ans, intervalle bien suffisant à la rédaction du Tristan de Luce de Gast, tout colossal qu’il est, car messire Luce nous apprend lui-même qu’il n’y mit que cinq ans.

Maintenant la rédaction de ce même roman en prose allemande n’étant qu’une abréviation de celle en prose française, il s’ensuit que cette rédaction allemande est comme son modèle, et plus encore que son modèle, postérieure à celle de Thomas, en écossais.

Sur six versions de la fable chevaleresque de Tristan, en voilà donc cinq que tout oblige à regarder comme postérieures à l’an 1250, époque la plus ancienne où l’on puisse raisonnablement mettre celle de Thomas, tandis que l’on pourrait, sans invraisemblance, la mettre quinze ou vingt ans plus tard.

Il ne me reste plus à parler que de la sixième version, de celle que représente le grand fragment du manuscrit de la Bibliothèque du roi. — C’est celle dont il est le plus difficile de déterminer