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dans son manteau, silencieux, les yeux fixes, et ne donnant pas plus signe de vie et de mouvement qu’un cadavre qu’on eût lié sur une selle. Après une heure de marche environ, le cheval s’arrêta de lui-même auprès d’un puits de pierre, et se mit à hennir de nouveau. Le cavalier qui le montait tourna la tête de côté et d’autre, comme s’il se fût réveillé d’un lourd sommeil, et rejetant sur son épaule les vastes plis de son bournous, il mit pied à terre et s’assit à la manière des Orientaux, laissant son cheval paître auprès de lui quelques brins d’herbages et de roseaux. Puis il chargea de tabac une pipe de bois de cerisier qui pendait à l’arçon de sa selle, enfermée dans un étui de drap ; et s’adossant contre le puits, il commença tranquillement à fumer.

Au bout de quelques instans, le galop d’un cheval se fit entendre, et un second cavalier mit pied à terre à quelques pas du puits. L’Arabe, sans quitter sa pipe, passa sa main droite sous son bournous, et fit retentir un léger craquement d’acier qui ressemblait au son que produit en s’armant le chien d’un pistolet. Le nouveau venu lui donna le selam la main étendue sur sa poitrine, salut de politesse musulmane que le fumeur lui rendit en l’imitant. Puis les deux chevaux broutèrent de compagnie, la bride sur le cou, et le second cavalier s’assit à côté du premier.

— Tu vois, Zahed, lui dit-il après avoir aussi allumé sa pipe, tu vois si j’ai tenu parole. Me voici.

— Jusqu’ici, interrompit l’Arabe, tu as rempli ta promesse. Voyons si tu la tiendras jusqu’au bout.

— Qui pourrait te faire douter de moi ? Il y a trois jours, je te rencontrai à ce puits pour la première fois. Je t’entendis te plaindre de ta pauvreté et faire des vœux pour devenir riche.

— Oui, dit Zahed, ma pauvreté est extrême. Je m’ennuie de voir des gens opulens comme toi traverser Baghdad avec des robes de soie brodées d’or, bâtir des sérails semés de jardins pleins de verdure et d’eau fraîche, acheter au bazar de belles esclaves blanches et vierges, moi qui ne trouve pas une compagne parce que je suis pauvre et nu, moi qui possède pour tout sérail, pour toute fraîcheur, pour toute verdure, les sables de mon Arabie, et qui n’ai pour vêtement qu’une chemise de laine et un mauvais bournous dont le temps me dépouillera bientôt.