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mort en l’an 800, quatorze ans avant Charlemagne. Sa composition ne remonte pas au-delà de la fin du xie siècle, ou des commencemens du xiie ; l’auteur en est inconnu ; il y a seulement beaucoup d’apparence que c’était un moine. L’ouvrage n’est pas long : il a moins de 80 petites pages. Il serait difficile de ramasser plus d’énormes faussetés et de platitudes qu’il n’y en a dans ces 80 pages. Mais elles renferment aussi des traits curieux pour l’histoire de l’épopée du moyen âge.

Elles contiennent d’abord la preuve qu’avant l’époque où elles furent écrites, il circulait en France des chants épiques populaires, de l’espèce de ceux dont je viens de parler. Le chapitre xii est un recensement des forces avec lesquelles Charlemagne descendit en Espagne, et des différens chefs sous lesquels ces forces marchèrent. Parmi ces chefs est nommé Hoel, comte de Nantes, à propos duquel l’auteur ajoute : « Il y a sur ce comte une chanson que l’on chante encore aujourd’hui, et dans laquelle il est dit qu’il fit des prodiges sans nombre. » Une telle circonstance est de sa nature trop indifférente, trop insignifiante, pour être une fiction ou un mensonge. D’ailleurs, il existe à propos de la même légende d’autres preuves du même fait.

Jauffroi, moine de Saint-Martial, prieur du Vigeois, en Limousin, qui vivait au xiie siècle, nous a laissé une chronique extrêmement intéressante pour l’histoire de son pays et de son temps, et même en général pour celle du moyen âge. Il désirait lire l’œuvre du prétendu Turpin, que tout le monde prenait alors au sérieux, et pour de l’histoire. Il en fit venir d’Espagne une copie, qu’il reçut comme un vrai trésor. Voici le commencement d’une lettre qu’il écrivit à ce sujet à ses confrères du monastère de Saint-Martial :

« Je viens de recevoir avec reconnaissance l’histoire des glorieux triomphes de l’invincible roi Charles, et des faits glorieux du grand comte Roland en Espagne. Je l’ai corrigée avec le plus grand soin, et je l’ai fait copier, par la considération que nous n’avons su jusqu’ici de ces événemens, que ce que les jongleurs en ont rapporté dans leurs chansons. »

Ces chants de jongleurs que le prieur du Vigeois trouvait si