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ROMANS PROVENÇAUX.

du recueil ; et tout insipide qu’elle soit, je suis obligé d’en dire quelques mots, parce qu’elle renferme peut-être la clé de plusieurs autres, et de celle même sur laquelle je me propose d’attirer votre attention.

Bernard signale d’abord dans son récit, comme vivant encore à l’époque où il écrit, un prêtre de Rhodez ou du voisinage, nommé Géraud. Ce Géraud avait dans sa maison, comme intendant ou homme d’affaires, un jeune homme nommé Wibert ou Guibert, son parent et son filleul.

Guibert, voulant, comme tant d’autres, faire une visite à sainte Foi, prit l’habit de pélerin ou de romieu, comme on disait dans le temps et dans le pays, et s’achemina pieusement devers Conques. Il eut le malheur de rencontrer en chemin son parrain Géraud, qui, pour des raisons que l’histoire ne dit pas, fut courroucé outre mesure de le trouver en habit de pélerin, sur la route de Conques. Avec l’aide de deux ou trois personnes dont il était accompagné, il arracha au malheureux Wibert les deux yeux qu’il jeta tout sanglans à terre. Mais sainte Foi ne devait pas souffrir qu’un de ses serviteurs fût si cruellement traité pour l’amour d’elle : une colombe blanche s’abattit aussitôt du ciel, prit dans son bec les deux yeux arrachés, et les porta droit à Conques. J’abrège les détails du miracle. Qu’il vous suffise de savoir que Wibert resta aveugle tout un an, mais qu’au bout de l’an sainte Foi lui apparut en rêve, pour lui dire que s’il voulait ravoir ses yeux, il n’avait qu’à aller les chercher à Conques. Il y alla, et les rapporta, non pas à la main, mais dans la tête, dans leur orbite, et aussi bons que jamais.

Il n’est pas indifférent de savoir ce qu’avait fait Wibert durant l’année qu’il passa sans y voir. « Il avait, dit son historien, exercé la profession de jongleur, subsistant des rétributions du public, et gagnant tant d’argent, vivant si bien, qu’il ne se souciait, disait-il, plus guère de ses yeux. » Ce trait de l’aventure de Wibert est le seul qui ait quelque rapport à l’histoire de la littérature : il pourrait y avoir quelque incertitude sur la signification très-variée du mot jongleur ; mais, chez un homme privé de la vue, comme l’était Wibert, la jonglerie ne pouvait être que la pro-