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GÉRARD DE ROUSSILLON.

mendiant et de vagabond, c’est elle qui devient le personnage principal de l’action, la providence de Gérard. C’est le modèle de l’épouse tendre et dévouée. Mais, dans ce caractère même, il y a quelque chose de l’époque, quelque chose d’austère et de fort qui se mêle à l’expression de l’amour, qui le contient, pour ainsi dire, au fond de l’ame. C’est par des leçons, par des exhortations pieuses, plutôt que par des paroles molles et caressantes, que Berthe témoigne son dévouement à son époux.

Mais ce qu’il y a incontestablement, dans tout le roman, de plus remarquable, sous le rapport des mœurs, c’est la conduite de la reine envers Gérard, qu’elle aime incomparablement plus que son époux, et dont elle prend le parti d’une manière directement opposée aux intérêts et aux intentions de celui-ci. Tout cela, nous l’avons vu dans le temps, était parfaitement conforme aux idées de la galanterie chevaleresque. Aussi à peine le roi a-t-il un moment d’humeur et de colère, quand il vient à savoir tout ce que son épouse a fait pour Gérard, son ancien ennemi ; il sait bien que tout cela est dans l’ordre, et son mécontentement tombe au premier sourire de la reine, qui se garde bien de le prendre au sérieux.

Il y a de fort beaux traits dans les longues descriptions de batailles qui font la majeure partie du roman. Mais, comme je l’ai déjà observé, c’est dans les conseils fréquens où Charles et Gérard délibèrent sur leurs demandes, sur leurs propositions et sur leurs droits respectifs, que le romancier semble se complaire davantage, et réussir le mieux. C’est là qu’il aime à mettre ses personnages en évidence et à les représenter faisant preuve d’un autre courage que celui du champ de bataille, de celui de la pensée et de la parole. Je choisis, pour donner un exemple, l’audience que Charles accorde à Foulques, lorsque celui-ci va, de la part de son oncle Gérard, réclamer contre l’injustice de la guerre que le roi est résolu de faire à ce dernier, pour avoir repris son château de Roussillon, qu’il n’avait un moment perdu que par une insigne trahison.

Foulques est parti, accompagné d’un cortége de cent barons, parmi lesquels se trouve Fouchier, ce comte si excellent, qui n’a