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SCÈNES HISTORIQUES.

yeux sur ceux de l’homme d’armes, et, après l’avoir regardé un instant en silence :

— Mon brave Tanneguy, dit-il, je l’ai souvent regardée à pareille heure des fenêtres de l’hôtel Saint-Paul, comme je la regarde en ce moment de la terrasse de la Bastille ; quelquefois je l’ai vue tranquille, mais je ne crois pas l’avoir jamais vue heureuse.

Tanneguy tressaillit : il ne s’attendait pas à une pareille réponse de la part du jeune dauphin. Il l’avait interrogé, croyant parler à un enfant, et celui-ci avait répondu comme l’aurait fait un homme.

— Que votre altesse me pardonne, dit Duchatel ; mais je croyais que jusqu’à ce jour elle s’était plus occupée de ses plaisirs que des affaires de la France.

— Mon père (depuis que Duchatel avait sauvé le jeune dauphin des mains des Bourguignons, celui-ci lui donnait ce nom), ce reproche n’est qu’à moitié juste : tant que j’ai vu près du trône de France mes deux frères, qui maintenant sont près du trône de Dieu, oui, c’est vrai, il n’y a eu place en mon ame que pour des joyeusetés et des folies ; mais depuis que le Seigneur les a rappelés à lui d’une manière aussi inattendue que terrible, j’ai oublié toute frivolité pour ne me souvenir que d’une chose : c’est qu’à la mort de mon père bien-aimé (que Dieu conserve !), ce beau royaume de France n’avait pas d’autre maître que moi.

— Ainsi, mon jeune lion, reprit Tanneguy avec une expression visible de joie, vous êtes disposé à le défendre des griffes et des dents contre Henri d’Angleterre et contre Jean de Bourgogne.

— Contre chacun d’eux séparément, Tanneguy, ou contre tous deux ensemble.

— Ah ! monseigneur, Dieu vous inspire ces paroles pour soulager le cœur de votre vieil ami. Depuis trois ans, voilà la première fois que je respire à pleine poitrine. Si vous saviez quels doutes passent dans le cœur d’un homme comme moi, lorsque la monarchie, à laquelle il a dévoué son bras, sa vie, et jusqu’à son honneur peut-être, est frappée de coups aussi rudes que l’a