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me semblent telles, et je voudrais bien vous les raconter. Permettez-moi le rôle de narrateur. Ne faites pas attention à moi, je ne serai pas plus un personnage dans ce récit, que je ne l’ai été dans le drame comique et tragique qui s’est joué en ma présence. Une ou deux fois seulement, peut-être, je m’avancerai un peu sur le devant de la scène pour parler seul, comme font les acteurs secondaires qui ont aussi à expliquer leur position, leurs intérêts et leur participation au drame, mais à qui les convenances interdisent de longues communications avec le public.

Ce sont les souvenirs de la fin d’une carrière que j’avais rêvée si belle, et qu’on m’a interdite si tôt, et ceux du commencement d’une autre où j’ai été plus heureux, qui me reviennent aujourd’hui.


C’est en mai 1816 que cinq ou six cents jeunes officiers de marine furent licenciés, et privés par un caprice, ou plutôt par une combinaison ministérielle, du droit de servir la patrie. Deux hommes, dont l’un avait du moins l’excuse d’une véritable et aveugle passion politique, firent ce tort à nous et à la profession qu’on nous arrachait violemment : le vieux vicomte Dubouchage et M. Portier. Pourquoi fûmes-nous renvoyés ? Je l’ai su hier seulement. Pendant seize ans j’ai cherché à connaître le motif de cette indigne exclusion, je l’ai demandé cent fois, jamais je n’ai pu obtenir de réponse ; hier enfin (8 septembre 1832), un ancien employé qui a eu les secrets du temps, m’a dit : « C’est pour opinion que vous avez été renvoyé ; toutes les dénonciations les plus absurdes, anonymes ou signées, venues de haut ou de bas, issues des ports, de la cour ou de la police, ont été accueillies avec empressement. Vous avez été accusé de bonapartisme ; on vous a reproché la part que vous avez prise aux Cent-Jours ; et comme vous étiez sans protections, on n’a jamais voulu vous réintégrer. Du reste, vous ne trouveriez plus de traces de ceci ni dans votre dossier, ni dans aucun de nos cartons. Nous avons eu tellement honte de ce que nous avions fait, que nous avons tout brûlé, et que jamais nous n’avons osé avouer ce que je vous confesse aujourd’hui. »