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ces langues ; un des premiers, il a montré les ressources que l’histoire devait trouver dans un sage emploi de la philologie comparée. Sa préface renferme sur ce sujet des aperçus aussi ingénieux que solides, alors assez neufs en France, et que la critique historique a entièrement adoptés.

M. Rémusat avait à cœur de combattre les hypothèses vagues et sans fondement sur l’histoire de la haute Asie qui avaient cours avant lui. Par un examen approfondi des langues tartares, il a montré que ce n’étaient point ces langues ni les peuples qui les parlent, qui avaient pu être dépositaires d’une antique civilisation, communiquée ensuite par eux à l’Inde et à la Chine. L’hypothèse du peuple primitif, du moins telle que l’avaient rêvée Bailly et quelques autres, s’est évanouie devant l’évidence des faits. Le Thibet, qu’on avait particulièrement désigné comme le point de départ de ce peuple imaginaire, n’a plus conservé aucun droit à cet honneur. Ce n’est pas au moins dans les traditions nationales qu’il faut en chercher la trace. Le thibetain, idiome assez barbare et vraie langue de montagnards long-temps isolés sur leurs plateaux neigeux, ne paraît posséder d’autres monumens littéraires que des monumens bouddhiques, venus de l’Inde et traduits du sanscrit. Son alphabet n’est qu’une corruption de l’alphabet sanscrit accommodé à la peinture de quelques sons qui lui sont propres ; en un mot, la langue et l’écriture, comme la civilisation et la religion du Thibet, ont reçu l’influence de l’Inde, et l’Inde n’a rien reçu de lui. En attendant qu’on pénètre librement dans ce pays curieux et ignoré, voilà que des comparaisons d’alphabets, des investigations faites à Paris, dans des historiens chinois, renversent un des systèmes auxquels avaient prêté le plus de vogue les deux complices de tout système qui réussit, l’ignorance et le talent.

L’histoire de l’alphabet des Mantchoux n’est pas moins curieuse : ceux-ci l’ont reçu des Mongols, leurs devanciers dans la conquête de la Chine. Les Mongols l’avaient reçu des Oigours, population turque voisine des Mongols ; car il n’y a pas des Turcs seulement à Constantinople : les Osmanlis ne sont qu’une fraction célèbre d’une grande famille dont les tribus obscures