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plus frappant, c’est le mot amour, qui est le même dans les deux langues. Il est bizarre que cette ressemblance de nom se rencontre là où on l’attendrait le moins ; car il est à croire que la chose est assez différente au bord de la Seine et aux rives du lac Baïkal.

Des rapprochemens moins frivoles se sont présentés à M. Rémusat : telle est l’histoire du mot bey. N’est-il pas curieux qu’il vienne du chinois Pe, et que ce soit une expression empruntée à la Chine qui serve à désigner en Turquie une fonction politique. Les mots sont des voyageurs qui font le tour du monde et se naturalisent bien loin de leur berceau.

Un peuple remarquable à plus d’un égard, c’est le peuple japonais. On connaît la bizarrerie de son double gouvernement, et comment le pouvoir temporel et le pouvoir ecclésiastique y siégent à côté l’un de l’autre ; on connaît ce caractère sombre et violent qui forme un si parfait contraste avec la douceur humble et souple des Chinois ; on sait cet usage auprès duquel notre duel n’est que de la demi-barbarie, ce point d’honneur étrange qui commande à un Japonais offensé de proposer à son ennemi de s’ouvrir le ventre au même instant que lui, comme en Angleterre on s’adresse entre convives la proposition de boire ensemble un verre de vin. Le langage de ce peuple extraordinaire offre aussi des particularités dignes de remarque ; au fond essentiellement différent du chinois et des idiomes tartares, on voit cependant que le voisinage de ces langues n’a pas été sans influence sur lui : civilisés par les Chinois, les Japonais ont subi le joug de leur grammaire ; ils ont conservé les mots indigènes, mais ils ont appris à les construire à la chinoise et à les décliner à la tartare. De plus, le bel usage a introduit dans le japonais l’usage du mot chinois un peu défiguré par la prononciation, à côté de celui des mots nationaux, de sorte qu’il y a deux noms pour toutes choses, le nom japonais et le nom chinois. On emploie de préférence la dénomination chinoise dans les sujets qui tiennent à la politique, à la législation, à la religion, aux belles-lettres, aux sciences, et le terme japonais pour tout ce qui se rapporte aux métiers, aux occupations du