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de savoir qu’il s’était engagé lui-même et séparé du monde. Ils étaient ainsi quittes l’un envers l’autre. Elle se sentait justifiée. Elle ne se trouvait plus coupable. Le rendez-vous qu’elle avait promis pour le lendemain ne l’effrayait pas ! Cet adieu devait achever de dissiper ses inquiétudes et assurer la paix de sa vie.

De son côté, Lorenzo revenait d’un pas rapide et pressé ; mais je ne sais quel espoir éclairait son front pâle. Je ne sais quel éclair brillait sous son capuchon dans le regard perçant de ses yeux, noirs.

V.

Le lendemain du jour de la Sainte-Christine, vers sept heures du soir, un jeune garde du corps du roi, arrivant à cheval par la route de Ségovie, entra au grand galop à Saint-Ildefonse.

S’arrêtant bientôt à la porte d’une petite posada vis-à-vis de l’ancienne manufacture de glaces, il mit pied à terre, parla bas quelques instans à l’oreille d’un mozo[1], auquel il laissa son cheval, puis il gravit à la hâte les rues escarpées qui conduisent à la grande place.

Arrivé là, on le vit se promener assez long-temps les bras croisés devant la façade du palais.

La soirée avançait. Le soleil se couchait sur Ségovie dans des nuages de pourpre et d’or, et ses derniers rayons venaient frapper les croisées du château, dont les vitres reluisaient comme du feu.

Le jeune officier, dont le chapeau à cornes rabattues cachait presqu’entièrement le visage, tournait souvent la tête vers la grande grille de la place ; mais il ne semblait point que ce fût pour admirer la magnificence de ce coucher du soleil, c’était bien plutôt avec une impatience marquée, — comme s’il eût trouvé la nuit trop lente à venir.

Sur la place, s’étaient cependant formés des groupes assez nombreux. C’étaient les promeneurs qui, de la route de Ségovie et de celle de Madrid, remontaient dans la ville, et venaient, avant de rentrer chez eux, écouter la sérénade que donne chaque soir la musique de la garde du roi.

  1. Valet, domestique.