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s’est conservé jusqu’à nous, est intitulé Jauffre ou Geoffroi et Brunissende de Montbrun. Il existe de ce roman deux manuscrits complets, tous les deux du treizième siècle, et appartenant à la Bibliothèque du Roi. Il n’est pas besoin d’admirer cet ouvrage, ni d’en faire un grand cas, pour affirmer qu’il est à tous égards infiniment supérieur à celui dont je viens de parler. Il eut aussi beaucoup plus de célébrité. Il fut, à ce qu’il paraît, traduit de bonne heure en catalan. Muntaner y fait expressément allusion dans son intéressante chronique, et le cite de manière à faire supposer qu’on le mettait de son temps au même rang que Lancelot du Lac. Une marque encore plus certaine de la renommée de ce roman, c’est que le héros en fut admis de bonne heure parmi les héros classiques de la Table ronde. Le plus distingué des poètes romanciers de l’Allemagne, à la fin du douzième et au commencement du treizième siècle, Wolfram-von-Eschenbach, nomme deux ou trois fois Joffroit, parmi les champions de la cour d’Arthur, et l’on ne peut douter que cette désignation ne se rapporte au héros de notre roman provençal.

Rien ne marque avec précision l’époque où fut composé ce roman ; mais on trouve sur ce point, dans l’ouvrage même, des indices fort approchant de l’exactitude. On y trouve un morceau tout lyrique dans lequel l’auteur, s’abandonnant à ses réflexions, fait un magnifique éloge d’un roi, auquel tout annonce qu’il avait dédié son œuvre. Or, ce roi est Pierre ii d’Aragon, qui commença à régner en 1194, et fut tué en 1213 à la fameuse bataille de Muret, gagnée par Simon de Montfort. Le roman fut donc écrit au plus tard en 1213, mais il dut l’être encore plus tôt. En effet, le roi célébré comme un patron par le poète est désigné par celui-ci comme étant fort jeune, et depuis peu de temps chevalier, circonstances qui ont toute l’apparence de se rapporter à la fin du douzième siècle plutôt qu’au commencement du treizième. Il n’y a donc point d’invraisemblance à comprendre le roman en question parmi ceux de la seconde moitié du douzième siècle.

Quant à l’auteur, fidèle au système des romanciers originaux du moyen âge, il ne se nomme ni ne se désigne d’aucune façon, et il n’y a pas moyen de le deviner. Ce que l’on peut dire de plus