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yeux ne sont pas fermés de sommeil. Brunissende, tourmentée de son amour, tourne et retourne dans sa pensée mille craintes, mille espérances, mille résolutions diverses. Mais une crainte finit par dominer toutes les autres, c’est que son prisonnier ne s’échappe ; elle veut aller le garder elle-même, et s’habille dans ce projet.

En ce moment, la guette de la tour pousse un cri, et à ce cri tous les habitans du château et de la ville s’éveillant et se levant, se mettent à pleurer, à se lamenter, à se tordre les mains, à s’arracher les cheveux ; et le vacarme est tel, que Geoffroi, qui tout à l’heure trouvait la mort douce à la condition de dormir encore un peu, s’éveille. Il regarde autour de lui, et voit les cent chevaliers qui le gardent, hors d’eux-mêmes, criant, se démenant comme des possédés. Il se lève sur son séant : « Qu’avez-vous donc, chevaliers, dit-il, et que vous est-il arrivé pour vous désoler si fort ? »

À peine a-t-il fait cette question, que les cent chevaliers se jettent tous à la fois sur lui comme des furieux ; chacun le maltraite, chacun le bat, le frappe de ce qu’il se trouve à la main, de bâton, de lance, d’épée, de couteau. Il n’y en a pas un qui ne veuille donner son coup, et plusieurs frappent à coups redoublés comme forgerons sur enclume. Geoffroi aurait été tué vingt fois sans son armure, et s’il ne se fût bien enveloppé dans les draps et les couvertures de son lit. Mais tout d’un coup cette folle rage s’apaise, le calme, le silence renaissent, et les cent chevaliers, persuadés qu’ils ont tué Geoffroi, ou du moins l’ont mis hors d’état de se mouvoir, s’endorment tous profondément. Geoffroi s’en aperçoit, et délibère en lui-même s’il fuira ou restera. Ce qu’il vient de voir et d’entendre lui paraît quelque chose d’infernal, et il est bien tenté de fuir ; mais il songe à Brunissende, et se décide à rester.

Comme il s’arrête à cette résolution, la guette de la tour annonce qu’il est minuit. À cette annonce, tous les habitans du château et de la ville se réveillent, se lèvent de nouveau, et recommencent le vacarme de tout à l’heure. Autant en font les cent chevaliers, gardiens de Geoffroi. Quant à Geoffroi, il se garde