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dire l’art avec lequel l’auteur a cherché à exciter la curiosité sur la cause de ces clameurs lamentables dont Geoffroi est frappé dans le château de Montbrun et dans toute la contrée environnante, et vous aurez trouvé sans doute cette cause beaucoup au-dessous de votre attente poétique. Elle l’est, il est vrai, à raisonner d’après des principes d’art un peu généreux et abstraits ; mais, à la considérer dans la pensée de l’auteur et dans l’esprit de son temps, cette partie du roman en est la partie caractéristique et vitale.

Au fond de toutes ces aventures merveilleuses dont je n’ai indiqué que la moindre partie, il y a une idée sérieuse et une idée qui se rattache à des faits réels. On pourrait dire que l’auteur, bien que peut-être sans une intention expresse, et vaguement, a personnifié, dans Taulat, la force et l’autorité brutales, telles qu’on les voyait souvent à ces époques, opprimant et bouleversant la société ; et dans Geoffroi, le génie de la chevalerie luttant contre cette force perverse. Mais une intention équivalente à cette idée, qu’il a certainement eue, qu’il a même suffisamment exprimée, c’est celle de relever, d’exalter le caractère et la destinée d’un chef féodal accompli. Voulant exprimer l’amour d’une population entière pour un tel chef, il n’a pas cru faire une chose ridicule en poussant jusqu’au merveilleux les démonstrations de cet amour ; il a regardé le martyre périodique du bon Mélian par le féroce Taulat comme un motif suffisant de ces transports de douleur unanime, qui éclatent comme une sorte de frénésie et de folie. Or, ce motif naturel est certainement plus original et plus poétique que ne le serait tout autre, qui n’aurait que le mérite d’être plus merveilleux. Il y a toujours, dans les grands monumens poétiques d’une époque, surtout d’une époque pleine de vie et de caractère, comme celle que nous avons en vue, quelque chose qui, même à l’insu du poète, et sans projet de sa part, révèle les idées et les tendances de cette époque.

Pour revenir un instant au roman de Geoffroi, j’ajouterai aux considérations qui précèdent, une conjecture plus particulière qu’elles n’excluent pas, ou qui, pour mieux dire, les appuierait, si elle était juste. Je serais tenté de croire que l’auteur, quel qu’il soit, de Geoffroi, a eu en vue, dans quelques personnages et quel-