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CHRONIQUE DES ALBIGEOIS.

scène où est peinte, dans toute son horreur, la détresse où sont réduits les défenseurs du château. Il y a peut-être dans cette scène quelque chose qui frise l’invraisemblance ; mais rien cependant n’autorise à la regarder comme une fiction de l’auteur. Ce n’est, selon toute apparence, que l’expression poétisée d’un fait vrai, dont notre historien dut avoir mille occasions d’être informé.

Voici le morceau :

De la plus haute tour du château, d’entre les créneaux aigus,
Un routier se désole et s’écrie : « Nous sommes perdus pour Montfort ;
Le jeune comte vaillant est venu à bout de nous ! »
Et parlant ainsi, il montre de loin une nappe et une caraffe luisante,
Pour signifier qu’ils ont mangé tout leur pain et bu tout leur vin ;
Et le comte Montfort, qui comprend la chose,
S’est assis en terre de chagrin et de colère ;
Mais après s’être (un moment) désolé, (il se lève) et s’écrie à haute voix :
Aux armes ! et il est promptement obéi.
Dans toutes les tentes le cri s’est répandu,
Et il n’y reste pas un homme, jeune ni vieux ;
Tous se sont armés, tous montent sur les destriers à longs crins,
Et les voilà qui, au son des trompettes et des clairons aigus,
Remontent sur la colline des pendus.
« Seigneurs, dit le comte à ses chevaliers,
Je dois bien me tenir pour (chétif et) confondu,
Quand mon lion se plaint que la nourriture lui manque,
Tellement que la faim le tourmente et que le courage lui a failli.
Mais par la croix sainte, c’est aujourd’hui le jour
Où il sera abreuvé de sang et repu de cervelles. »

— « Beau-frère, dit seigneur Guy, puissiez-vous dire vrai !
Car si nous perdons Beaucaire, votre lion perd le rugissement,
Et notre renom à tous tombe à jamais.
Chevauchons à la bataille jusqu’à ce que nous soyons vainqueurs. »
Ceux du château qui les ont vus,
Prennent aussitôt leurs armes, leurs heaumes, leurs écus.
Et voilà que sur la belle place, là où est le chemin battu,
Commence des deux côtés le carnage,
Commence la guerre.

La guerre commence et le jour est clair et beau ;
Ceux de la ville sortent par troupes,