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CHRONIQUE DES ALBIGEOIS.

Et nous ne pouvons espérer d’accord avec le jeune comte.
Y a-t-il pour nous chemin, voie ou sentier,
Par où nous puissions échapper à ce péril,
À ce mal extrême, à ce souci mortel ?
C’est sur quoi je demande conseil d’abord à Dieu, puis à vous. »
Guillaume de la Mothe est le premier à répondre :
« Par Dieu, fait-il, beau sire oncle, quand la faim nous presse,
Je ne vois d’autre parti pour notre soulagement,
Si ce n’est de manger nos roussins et nos destriers.
Bonne était la chair du mulet que nous avons mangé hier ;
Nous avons cinquante chevaux à manger,
Et quand le dernier aura été mangé,
Que chacun de nous mange son compagnon :
Celui qui se défendra le plus mal, ou qui se montrera lâche,
Celui-là, par droit et justice, sera mangé le premier. »
Mais là-dessus Raymond de Roche-Maure se bat les deux mains ensemble.
Seigneurs, dit-il, j’ai délaissé l’autre jour mon vrai seigneur
(Le comte de Toulouse) pour celui de Montfort, il est juste que j’en reçoive la récompense.
Je demande à être ici le premier mangé. »

Après les autres, parla Rainier.
« Par Dieu, seigneur Lambert, dit-il, nous ne ferons point pareille chose,
Le conseil de Guillaume de la Mothe est conseil d’ennemi ;
Je ne saurais trouver saveur à chair d’homme.
Mangeons nos coursiers arabes ; et quand ils seront mangés,
Alors au nom de Jésus-Christ le vrai Seigneur
Recevons son saint corps véritable,
Puis en fine armure à double maille,
Sortons par la porte, descendons l’escalier,
Et commençons alors telle guerre et tel carnage,
Que la terre et la roche en demeurent vermeilles.
Il vaut mieux mourir ensemble de fer et d’acier,
Que de vivre déshonorés ou être faits prisonniers. »
— « Nous suivrons ce conseil, dit maître Ferrier ;
Pensons à nous défendre. »


Si longue que soit déjà cette analyse, je ne voudrais pas, messieurs, vous y laisser sous l’impression de cet étrange épisode. Je vous citerai donc encore un court passage de notre historien. Je le prendrai parmi ceux où il s’est livré franchement à l’expres-