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SCÉNES HISTORIQUES.

si je savais lequel on me demandera, je le préparerais pour ne pas faire attendre le peuple.

— Non, non, dit Cappeluche, vous ne m’avez pas compris ; le populaire marche en ce moment vers Marcoussis et Montlhéry ; ainsi vous voyez qu’il tourne le dos au grand Châtelet. Ce n’est pas d’une émeute qu’il s’agit, c’est d’une exécution.

— Êtes-vous certain de ce que vous dites ?

— Vous me demandez cela, à moi ! reprit en riant Cappeluche.

— Ah ! c’est vrai, vous aurez reçu les ordres du prévôt.

— Non, je sais la nouvelle de plus haut ; je la tiens du duc de Bourgogne.

— Du duc de Bourgogne !

— Oui, continua Cappeluche, en renversant sa chaise sur les pieds de derrière et en se dandinant avec nonchalance, oui, du duc de Bourgogne ; il m’a pris la main il n’y a pas plus d’une heure, et m’a dit : Cappeluche, mon ami, fais-moi le plaisir d’aller au plus vite à la prison du Châtelet et d’y attendre mes ordres. Je lui ai dit : Monseigneur, vous pouvez compter sur moi ; c’est à la vie et à la mort. Ainsi, il est évident que l’on conduit demain quelque noble Armagnac en grève, et que le duc, devant y assister, a voulu voir de la besogne bien faite, et par conséquent m’en a chargé. S’il en eût été autrement, l’ordre serait venu du prévôt, et c’est Gorju, mon valet, qui l’aurait reçu.

Comme il achevait ces mots, deux coups de marteau retentirent, frappés sur la porte extérieure ; le geôlier demanda à Cappeluche la permission de prendre la lampe, Cappeluche y consentit d’un signe de tête : le geôlier sortit, laissant les convives dans l’obscurité.

Au bout de dix minutes, il rentra, s’arrêta à la porte de la chambre, qu’il ferma avec soin, fixa avec une expression singulière d’étonnement les yeux sur son hôte, et lui dit, sans aller se rasseoir : Maître Cappeluche, il faut me suivre.

— C’est bon, répondit celui-ci en vidant ce qui restait de vin dans son verre, et en faisant clapper sa langue comme un homme qui apprécie mieux un ami au moment de s’en séparer ; c’est bon, je sais ce que c’est.